Louis-Ferdinand Céline, Manuscrits retrouvés
Guerre
Louis-Ferdinand Céline
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Louis-Ferdinand Céline

Louis-Ferdinand Céline, couverture de Guerre

"Il faut peser les esprits, non les hommes"
Voltaire


Dans la première page du livre de Céline, il y a ces phrases qui condensent bien la tonalité profonde de ce qu’il a vécu : "J’ai toujours dormi ainsi dans le bruit atroce depuis décembre 14. J’ai attrapé la guerre dans ma tête, elle est enfermée dans ma tête". (p.25-26).

Guerre, le roman inédit de Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) a paru le 5 mai (édition de Pascal Fouché, avant-propos de François Gibault), à l’issue de circonstances rocambolesques près de quatre-vingt-dix ans après sa rédaction. Peut-on dire qu’il peut trouver sa place entre Voyage au bout de la nuit (1932) et Mort à crédit (1936), comme cela est annoncé par le préfacier. Le livre a été retranscrit d’après un manuscrit de premier jet ; il est divisé en dix séquences. Ces séquences sont parfois très marquées par la violence des faits, par la vitesse de l’écriture de Céline, soit par des plages instantanées, sur son expérience du front vécue en octobre 1914, en Belgique, à Poelkapelle, dans les Flandres, où il se retrouve blessé au bras droit et à la tête, couvert de sang, entourés de morts, crevant de faim et de soif, avant de se mettre debout, il se retrouve à l’hôpital de Peurdu-sur-la-Lys (Hazebrouck où Céline fut hospitalisé). On suit la convalescence du brigadier Ferdinand depuis le moment où, blessé gravement, il reprend conscience jusqu’à son départ pour Londres. Le livre commence sur cet épisode où les souvenirs à fleur de peau se bousculent dans la langue de Céline. On sait que Céline dira après la guerre et constamment qu’il avait toujours mal à la tête, avec des bourdonnements et des sifflements à l’oreille gauche. "J’ai bien dû rester là encore une partie de la nuit suivante. Toute l’oreille à gauche était collée par terre avec du sang, la bouche aussi. Entre les deux y avait un bruit immense. J’ai dormi dans ce bruit et puis il a plu, de la pluie bien serrée. Kersuzon à côté était tout lourd tendu sous l’eau. J’ai remué un bras vers son corps. J’ai touché. L’autre je pouvais plus. Je ne savais pas où il était l’autre bras. Il était monté en l’air très haut, il tourbillonnait dans l’espace et puis il redescendait me tirer sur l’épaule, dans le cru de la viande".

Tout au long du récit de Guerre, Céline raconte ses différents états physiques, les traumatismes, manque de sommeil, bruits divers, les personnages (Bébert, le souteneur) qui vont et viennent, les soldats (anglais aussi) souvent mal en point et les infirmières, ce qu’il appelle "l’abattoir international en folie". Plus loin dans le texte, il insiste notamment sur la mémoire de ce qu’il a vécu : "A tant d’années passées le souvenir des choses, bien précisément, c’est un effort. (…) C’est putain le passé, ça fond dans la rêvasserie. Il prend des petites mélodies en route qu’on lui demandait pas. Il vous revient tout maquillé de pleurs et de repentirs en vadrouillant".

Histoire des manuscrits volés et retrouvés

Flash-Back. Le 17 juin 1944, Céline se sent menacé à l'approche de la Libération pour ses prises de position durant l’Occupation, il quitte la France en compagnie de son épouse Lucette. Il laisse dans son appartement parisien plusieurs liasses de manuscrits, dont il déplorera après-guerre qu’elles lui ont été dérobées. Récemment retrouvés (voir plus loin le détail de ces péripéties…), ces manuscrits exceptionnels, pour la première fois exposés, mettent en lumière le projet littéraire qui anima Céline après la parution de Voyage au bout de la nuit en 1932 : un grand triptyque, se rattachant à des périodes de sa vie pas ou peu développées dans son premier roman – l’enfance, la guerre, Londres. Ces milliers de feuillets inédits témoignent de cette entreprise, dont seul le premier volet sera mené à terme avec Mort à crédit en 1936. "Mais Céline, là est la grande révélation, avait avancé sur les autres romans, en particulier celui évoquant l’épisode central de sa vie : l’expérience du front et sa blessure de guerre en octobre 1914." Comme le souligne les éditeurs et organisateurs de cette exposition.

Dernière séquence de Guerre

Les dernières pages du livre sont sans doute les plus fortes, les plus violentes, les plus imbibées de la verve et de la langue de Céline où l’argot gicle comme des cartouches de cynismes appliquées au monde qui l’entoure. Les personnages sont là : Ferdinand, L’Espinasse, Cascade (le souteneur), Destinée et Angèle : "son cul bien tendu d’espérance" p. 136 ; des femmes alentour qui font des "passes", ça grouille et ça se débat dans tous les sens ; le sexe bat son plein. Céline raconte ces scènes avec humour et détachement, à la va-vite ! Il ne faut pas mettre trop de psychologie et de bonnes manières à la chose, aurait-il dit ! "Des différentes gonzesses on arrive à se défendre, on a une petite façon de résister si besoin aux ondes sur la peau des blondes, des brunes les mieux veloutées, c’est-à-dire pulpeuses, les réussies, c’est tentant à toucher comme la vie même, plein les doigts, qui résiste un peu, qui reste, c’est du fruit du paradis, c’est entendu. Ça n’a pas de limites, mais quand même on a développé des petites résistances… Tandis que la rousse tire sur l’animal d’emblée. Il sort, il ne demande rien, il a reconnu sa sœur, il est content". Des mots à propos d’Angèle – laquelle partira en Angleterre avec un major anglais, ingénieur. Et Ferdinand la suivra plus tard.

Le dernier paragraphe de Guerre est magnifique. Juste, lyrique, écumeux à fleur de peau. La guerre de 1914-1918 a coulé dans les nerfs de Céline jusqu’au traumatisme que l’on retrouvera dans tous ses livres plus tard.
Céline, à propos des classiques, dit ceci : "Qu'ils ont un goût qui reste".
Comme ses dernières œuvres que nous connaissions : Rigodon, Nord, Guignol’s Band.
Ajoutons un dernier mot, de Stendhal : "Le mauvais goût conduit au crime."
 
Patrick Amine
Paris, mai 2022
 
 
Louis-Ferdinand Céline, Guerre. Ed Gallimard, 192 p., 19 €, numérique 14 €.
A l'occasion de la parution de Guerre de Louis-Ferdinand Céline, une exposition des manuscrits retrouvés est proposée du 6 Mai au 16 Juillet 2022, galerie Gallimard, 30-32 Rue De L'université, 75007 Paris.
www.galeriegallimard.com

La Galerie Gallimard présente une nouvelle exposition consacrée aux manucrits retrouvés de Louis-Ferdinand Céline. Cette exposition, sous le commissariat d'Alban Cerisier, est proposée à l'occasion de la parution de Guerre, roman inédit de l'écrivain. Guerre forme un texte de 132 pages. Cette édition est établie par Pascal Fouché, avec un avant-propos de François Gibault, elle comporte diverses notes sur le manuscrit (et fac-similé des pages manuscrites) et ses références historiques par rapport aux œuvres de Céline. ©Visuels, Ed. Gallimard.
Note sur Guerre : "Parmi les manuscrits de Louis-Ferdinand Céline récemment retrouvés figurait une liasse de deux cent cinquante feuillets révélant un roman dont l'action se situe dans les Flandres durant la Grande Guerre. Avec la transcription de ce manuscrit de premier jet, écrit quelque deux ans après la parution de Voyage au bout de la nuit (1932), une pièce capitale de l'œuvre de l'écrivain est mise au jour".
Céline évoquera la disparition de ses feuillets dans des lettres, des livres. D'un château l'autre par exemple : "Je sais tout ce qu'on m'a secoué, j'ai l'inventaire dans la tronche… Casse-Pipe… La Volonté du roi Krogold… Plus encore deux… trois brouillons ! … Pas perdu pour tout le monde ! Certes ! Je sais aussi ! Je dis rien… j'écoute les amis"… Comme le note Henri Godard dans sa biographie de Céline (Gallimard, 2011), "il laisse donc en pile sur le dessus d'une armoire les manuscrits de La Légende du roi Krogold et de Casse-pipe. Ils disparaîtront dans les jours de la Libération, avant le moment où l'appartement sera officiellement réquisitionné".
Jean-Pierre Thibaudat, ancien journaliste à Libération, spécialiste de théâtre, a eu en premier ses feuillets perdus et volés de Céline. Il le raconte sur son blog et dans les journaux de l'année dernière (été 2021). Allez-y voir ! Il rappelle ce moment : "Le travail de décryptage largement accompli, il me fallait attendre, par fidélité à ma promesse, la disparition de Lucette Destouches. Laquelle s'éteignit à l'automne 2019, à l'âge de 107 ans. Je pris alors contact avec ce grand spécialiste de la propriété littéraire et cet amoureux des lettres qu'est Me Pierrat, par ailleurs avocat de l'IMEC (Institut mémoires de l'édition contemporaine)." Il s'agissait de 5324 feuillets de manuscrits de Céline.

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