Les statues arbres de Fabrice Brunet
Fabrice Brunet
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Fabrice Brunet

La jeune pousse au pied du Grand Golgoth, sous le regard de Fabrice Brunet

 
 
 
 
Prendre le tronc d'arbre comme matière première d'une œuvre sculptée, est un choix difficile, qui manifeste une orientation esthétique et une exigence éthique. C'est refuser de considérer le bois comme un matériau inerte, ouvert à tous les possibles de la forme. Le tronc d'arbre garde le souvenir de son enracinement dans la terre. Et quelle que soit sa destinée, il reste cette flamme qui s'élance vers le ciel, s'allégeant et s'affinant en prenant de la hauteur, cependant que, dans le secret de sa gangue d'écorce, il reste hanté par la sève, ce fluide incomparable qui s'élève des racines souterraines jusqu'aux plus fines ramifications aériennes.

Les sculptures de Fabrice Brunet sont habitées par cette double vie. Elles sont arbre et statue, elles sont statue et arbre. Leur puissance gestuelle et émotionnelle se communique immédiatement au spectateur. Son exposition en plein air dans le parc de la Maison Elsa Triolet-Aragon (Saint-Arnoult-en-Yvelines) révèle un artiste de tempérament. Il vit et travaille à Fontenay-sous-Bois, en région parisienne. Après avoir fréquenté les ateliers de Vladimir Velickovic et de Jean-Michel Alberola à l'École des Beaux-Arts de Paris, il est devenu assistant du sculpteur Denis Monfleur. Sa première exposition est un coup de maître. Fabrice Brunet n'a pas encore quarante ans.

Ses personnages sculptés ont une belle vigueur, ils sont porteurs de passions humaines tout en gardant leur nature végétale. Ils appartiennent à un monde enchanté, où la culture était encore proche de la nature, où les rochers, les sources, les forêts profondes et les arbres étaient animés par des êtres mythiques qui leur donnaient une âme. A des années-lumière de notre civilisation qui les réduit à des marchandises ou des objets administratifs.

Fabrice Brunet fait partie de ces artistes qui réenchantent le monde.
Je considère l'arbre comme un être humain, un cousin végétal. J'adopte le tronc ; mon travail le fait entrer dans ma famille. Chacun a sa personnalité. L'orme de Sibérie a la résistance d'un colosse, le platane a la couleur rosée de la chair humaine, le peuplier, plus filandreux, est tout artères et nerfs, l'acacia est un tendre qui garde longtemps sa sève. Lorsque j'élague les branches, je conserve leur naissance qui m'indique les gestes des épaules, des bras et de la tête de la sculpture. Quant aux racines, elles m'aident à trouver l'équilibre des jambes. Définir les jambes dans un tronc d'arbre est pour moi une expérience importante, car désormais l'axe central réside dans le vide entre les membres inférieurs. Ceci me ramène aux arts martiaux que je pratique depuis longtemps et au rôle des jambes dans l'aplomb et la stabilité du corps. Je pense aussi à ces statues de guerriers célestes qui soutiennent le Ciel et la Terre, à l'entrée de certains temples au Japon et en Corée.

Fabrice Brunet travaille à gros traits afin de conserver l'aspect général, l'état brut de l'arbre. Ses statues ressemblent à des ébauches au volume puissant ; elles semblent s'éveiller à la vie au sortir d'une longue torpeur. Mais cet aspect non dégrossi est essentiel, il appartient à leur être végétal qui se refuse à tout fignolage, à tout détail décoratif. La pliure des genoux et la position mutuelle des jambes, qui est personnelle à chaque statue montre sa façon de s'élever hors du sol vers le monde aérien. Certaines s'arc-boutent sur elles-mêmes dans une poussée de titan qui s'arrache à l'emprise de la montagne, d'autres semblent vouloir esquisser un premier pas vers la conquête de l'espace, d'autres encore restent bien campées sur leurs deux jambes, les bras tendus, paumes tournées vers le haut, telles les caryatides d'un monde primordial reliant la terre au ciel. Quelques statues portent un accessoire, tel le Grand ninja blanc, armé d'un sabre ou le Chaman, porteur d'un bâton. Ces accessoires ont été imposés par l'arbre au sculpteur ; ils sont la survie d'une branche irréductible qui a refusé de se laisser abattre.

La plus grande des statues, en platane, a une hauteur de 3,15 m. Elle est intitulée Grand Golgoth. Véritable force de la nature, elle se manifeste dans le thorax aux pectoraux saillants au-dessus de l'arc épigastrique. Plus bas, le ventre, au sexe proéminent, apparaît comme le siège de l'énergie vitale. Il est porté par les jambes puissantes et les pieds, véritables bases de colonne. Les bras sont repliés sur la tête dans un double geste unique, mais celui-ci n'appartient à aucun langage codé ; il participe à la circulation de l'énergie dans le corps de "l'homme présent dans l'arbre". La tête massive, n'a aucun privilège dans le corps. L'artiste reste fidèle à la leçon de Rodin : le corps humain est beau et expressif dans sa totalité et dans toutes ses parties.

L'outil favori de Fabrice Brunet est la tronçonneuse. Un instrument qui ne cache pas son jeu. Les découpes abruptes restent bien visibles et leur surface s'enrichit parfois d'un dessin rythmé de stries multiples, qui ne sont pas sans analogie avec les scarifications rituelles des sculptures de l'art dogon. Ces surfaces de bois nu sont généralement peintes en blanc, à la fleur de chaux. Certaines statues sont entièrement peintes, leur blancheur apparaît alors non comme un épiderme adventice, mais comme l'ultime aventure de l'arbre.

Il s'agit pour moi d'introduire la lumière dans le corps de l'arbre. Ces parties peintes renforcent la force intérieure de mes statues ; et je n'oublie pas que suis venu à la sculpture par la peinture. Mais elles sont aussi des irruptions de lumière dans l'intimité du corps, des fulgurances de feu, comme les éclairs des coups de sabre dans les arts martiaux.

Il me semble que Fabrice Brunet appartient à la même famille spirituelle que Enkù, cet ermite-sculpteur japonais du dix-septième siècle, qui vécut dans la forêt et sculptait les arbres selon l'inspiration du lieu et du moment. J'ai relaté son aventure ici-même en juillet 1999, (voir Archives). Enkù possédait, selon sa légende, une hache magique qui avait le pouvoir de conserver la vie des arbres sculptés par lui. Or, Fabrice Brunet a eu la surprise de découvrir au pied de son Grand Golgoth une jeune pousse aux feuilles vertes et solides qui respire dans le tronc sculpté du platane…

Dans son premier projet pour l'exposition dans le parc de la Maison Elsa Triolet-Aragon, le sculpteur envisageait d'organiser neuf statues en piliers d'un édifice — temple ou maison-tortue — dont le Grand Golgoth eût été le pilier central. Les autres statues auraient jalonné l'allée vers ce sanctuaire. Cette présentation n'a pu être réalisée, mais son esprit est resté vivant, nous a-t-il confié, dans ce beau parc où le visiteur découvre les statues en se promenant parmi les arbres et les pelouses.
 
Michel Ellenberger
Paris, août 2012
 
 
Maison Elsa Triolet-Aragon, Moulin de Villeneuve
78730 Saint-Arnoult-en-Yvelines
tous les jours de 14h à 18h jusqu'au 17 septembre 2012
www.maison-triolet-aragon.com - tél. : +33 1 30 41 20 15
Photographies de Françis Hammond

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