Art Nouveau Revival
1900.1933.1966.1974
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Art Nouveau Revival

Art Nouveau Revival, Fran¨ois-Rupert Carabin, Coffret à bibelots, 1897,
poirier patiné et fer forgé, Nancy, Musée de l'École de Nancy
© Musée de l'École de Nancy/cliché Studio Image

 
 
 
 
 
En opposition à un discours de dénigrement qui a longtemps prévalu, Art Nouveau Revival a l'audace d'affirmer que le style 1900, paradoxalement relégué à un injuste purgatoire durant des décennies, irrigua nombre de mouvements emblématiques du XXe siècle. Démonstration, qui plus est, se jouant des prétendues frontières entre grand art et contre-culture, confrontant l'affiche à la peinture, invoquant Antoni Gaudí comme Hugues Aufray. On ne saurait assez féliciter Philippe Thiébault, conservateur de longue date au Musée d'Orsay et spécialiste éminent de l'art nouveau, d'avoir orchestré ce rassemblement foisonnant des multiples avatars et dérivations de l'ultime avant-garde du XIXe siècle.

Déjà condamnées du vivant de leurs créateurs, les œuvres liées à cette mouvance eurent néanmoins les égards des surréalistes. On ne dira jamais assez combien Breton et ses amis vénéraient le XIXe siècle qui, du romantisme au symbolisme, servit de fil conducteur à nombre de leurs travaux. L'enthousiasme de Dalí pour l'architecture de Guimard et Gaudí prit la forme d'un texte paru en 1933 dans la revue Minotaure, illustré de photographies de Man Ray et Brassaï. Ce qu'on nomme alors Modern'Style fascine l'artiste espagnol par son exubérance organique, d'un esprit proche des masses molles de L'Énigme du désir - Ma mère, ma mère, ma mère (1929, Munich, Alte Pinakothek). Dalí s'entiche aussi de Clovis Trouille, un de ses contemporains, qui revisite la Belle Époque sous le signe de la grivoiserie la plus leste. La Ville Lumière devient alors la Cité des Vices, fantasme étroitement associé à décadence supposée du Paris 1900.

Chère aux acteurs polyvalents de l'Art Nouveau, la volonté de réconcilier l'art et la vie trouva une heureuse résurgence dès les années 1930, à travers une tendance résistant au fonctionnalisme strict, promu par l'Art déco triomphant. Les transformations se font parfois radicales, ainsi avec le corps féminin : les gracieuses nymphes des meubles de François-Rupert Carabin ont peu à voir, si ce n'est dans le concept d'une forme humaine porteuse, avec les créatures vêtues de cuir et outrageusement maquillées que conçut Allen Jones en 1969, tables et chaises popularisées par le film Orange Mécanique. Plus généralement, l'héritage se transmet à travers la prédominance des courbes, séduisantes et confortables, à la fois esthétiques et ergonomiques, joignant l'utile à l'agréable. Alors que l'évocation du monde végétal, cher au début du XXe siècle, tend à s'estomper par la suite dans une épure toujours plus poussée, perdure l'idée d'un art total. Véritables designers de leur temps, Guimard avec le Castel Béranger et l'italien Bugatti avec sa salle "Escargot" (exposition internationale d'art moderne, Turin, 1902) avaient intégralement conçu des lieux à vivre. L'ambition ne fut pas moindre chez Verner Panton et son Phantasy Landscape, Cologne, Visiona 2 (Cologne, 1970), empli de volumes ondulants. On doit aussi au créateur allemand la fameuse Panton Chair (1967), dont la courbe continue simplifie à l'extrême la fameuse ligne en coup de fouet. Ce modernisme "néo-1900" toucha également les lieux les plus symboliques : Pierre Paulin conçut dans ce goût certaines pièces de l'Élysée, décor commandé par un Pompidou toujours enclin à promouvoir l'art de son temps. La simplicité des accessoires de table d'Henry van de Velde connut une nouvelle jeunesse dans l‘Italie des années 1950, tout comme les verriers de Murano renouvelaient une tradition séculaire à travers le prisme des sinuosités début de siècle. Et les musées leur emboîtèrent le pas, avec l'exposition Art Nouveau. Art and Design at the Turn of the Century, présentée au Metropolitan Museum en 1960.

À côté d'expressions artistiques plutôt reconnues par les institutions, la contre-culture prit également un virage sous le signe de l'Art Nouveau. Au milieu des années 1960, l'univers du rock s'embrasa en feu d'artifice psychédélique : les groupes anglais et américains rivalisaient en compositions exubérantes mais aussi en pochettes de disque ou affiches hautes en couleurs. L'apparence visuelle de ces albums prolongeait en quelque sorte leur contenu sonore ; l'on pourrait même parler d'un style LSD, tant cette désinvolture totale semblait émaner du trip à l'acide recherché par ces musiciens. D'où ces titres de chansons écrits en lettres flottantes sur des images animées de formes vives et mouvantes, multicolores à volonté. Cream, The Grateful Dead et Donovan se projetèrent dans un univers joyeusement saturé d'images, où texte, dessin et photographie tendent à se confondre comme sous l'influence des psychotropes. Le tout fut parfois enrichi de références celtiques ou indiennes, sans oublier cet amour un peu naïf pour la nature que revendiquait la génération hippie. Pour prolonger cette expérience visuelle confinant à l'hypnotique, on saura gré aux organisateurs d'avoir introduit un fond musical adéquat, regroupant des morceaux parmi les plus réussis de cette époque bénie de la musique populaire_ ainsi The Doors et leur leader à la voix sensuellement tonitruante, The Jimi Hendrix Expérience à l'intensité rythmique jamais prise en défaut, ou encore Pink Floyd mené à ses débuts par un Syd Barrett maniant l'absurde avec un talent rarement égalé.

Pour une jeunesse avide de héros romantiques, Audrey Beardsley devint une véritable figure de proue. Ce dessinateur de l'Angleterre victorienne, associant l'érotisme le plus puissant à des sentiments indéniablement morbides, incarnait une sexualité assumée, débridée, dominée par son omniprésente "femme fatale" (cette expression est aussi le titre d'une chanson interprétée en 1967 par Nico sur le premier album du Velvet Underground). Ce dandy du trait partageait ainsi quelque ressemblance avec les icônes outrageuses du rock, y compris une mort précoce à 25 ans, soit à peine plus jeune que Jim Morrison ou Jimi Hendrix…Au-delà d'une reprise littérale de ses beautés vénéneuses en noir et blanc, l'influence de Beardsley se fit indirectement ressentir dans la multiplication des héroïnes lascives, Bardot sur l'affiche italienne du film L'Ours et la poupée, ou bien Pravda la survireuse, héroïne peu farouche de BD imaginée par Guy Pellaert. Ces manifestations évidentes de la liberté sexuelle n'évitèrent pas, hélas, le grand guignol des films de vampire et son érotisme aujourd'hui moins aguicheur que désuet…Aux antipodes de cette sensualité délétère, les tenants du Peace and Love mirent une multitude de fleurs sur leurs effets. En France, la vague yéyé portait des tenues gentiment bariolées, et témoigna sur ses disques de goûts relativement discutables : avouons que les visuels de Johnny Halliday paraissent aujourd'hui extrêmement datés, et le romantisme d'Herbert Léonard également suranné. Tout cela se révèle bien loin de la richesse originelle de l'Art Nouveau, et même des créations britanniques ou américaines des Sixties. Dans le domaine populaire, la mouvance rock anglo-saxonne reste décidément la plus convaincante. Pour leur génialissime Revolver, les Beatles firent appel à leur ami allemand Klaus Voormann, auteur d'un collage de photographies noir et blanc et dessins au trait à l'effigie des Fab Four ; quant à Procol Harum, leur mythique A Whiter Shade of Pale sortit en 45-tours orné d'une jeune femme égarée dans les bois (ou bien une de ces "vestales vierges" qu‘évoquent les paroles mystérieuses de la chanson ?), heureuse variante des œuvres de Beardsley. Figure tutélaire, le grand maître Dylan, tel un Beethoven de la Beat Generation, présente en poster son profil sombre relevé d'une chevelure flamboyante.

L'engouement du design pour l'Art Nouveau se prolongea jusque dans les années 1970, Claude Lalanne hésitant entre la révérence et la dérision. Nul doute que les miroirs créés pour l'appartement d'Yves Saint Laurent puisent leur inspiration dans les décorations florales de l'École de Nancy. La revendication devient humoristique avec La Mouche, étonnant détournement du "naturalisme fonctionnaliste" puisqu'il s'agit de toilettes…On pourrait encore citer à l'envie de multiples prolongements à l'époque contemporaine de l'Art Nouveau, toujours est-il que cette sélection prouve indéniablement son influence sur le long terme, et même dans l'actualité la plus récente. N'est-ce pas la plus belle réussite de cette esthétique, se voulant moderne et utile, d'avoir influencé tant de modes qui touchèrent le plus grand nombre ?
 
Benjamin Couilleux
Paris, novembre 2009
 
 
Art Nouveau Revival 1900.1933.1966.1974
Musée d'Orsay (salles 67, 68, 69, 70, terrasse Lille)
1, rue de la Légion d'Honneur, 75007 Paris
du 20 octobre 2009 au 4 février 2010
http://www.musee-orsay.fr/
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