Les ombres de la silhouette
José Maria Garcia Armenter
José Maria Garcia Armenter
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José Maria Garcia Armenter

José Maria Garcia Armenter

 
 
 
 
José Maria Garcia Armenter est né aux Canaries en 1956. Il vit et travaille à New York depuis 1978. Il fut Master Engraver pour la maison Cartier pendant dix-huit ans. Il y élabore un travail précis et soigné de graveur sur métal précieux, principalement l'or et le platine.

De la production plastique qu'il déploie aujourd'hui, il retient de la gravure ce qu'elle extrait, cette part de matière qu'elle met en forme dont il choisit de ne plus rien retirer. De ce principe, il produit, comme une évidence, une réflexion personnelle autour du design, du design comme objet et du design comme dessin. Aujourd'hui sa production quitte l'artisanat de luxe pour la recherche plastique, sans refus ni rejet de l'un ou de l'autre. L'artiste interroge la place de la matière dans l'évidemment auquel procède sa pratique. Il s'interroge sur ce que laisse la gravure. Sa pratique s'élabore comme un choix qui retient tout et contient le multiple, pour produire et révéler la silhouette, mais aussi le volume que porte la plaque de métal.

Mais ce volume lui-même s'extrait de la surface plane, de la plaque de bronze, de cuivre ou d'argent. Ici la surface vient habiller l'espace de l'art, comme le travail précieux du joaillier venait produire un art qui habille. Au risque de ne pas échapper aux poncifs répétés autour de la réflexion heideggérienne, on voit mal comment ne pas évoquer, si ce n'est un geste, du moins une surface qui dévoile, un soulèvement du voile de métal.

De sa vie de joaillier, l'artiste a développé cette technique du "peeling", telle qu'il la nomme volontiers. Un geste autant qu'un acte sur la matière, qui évoquerait dans sa matérialité le geste de peler la peau de l'orange, mais qui convoque aussi la référence à une peau qui nous est encore plus chère, notre peau, interface entre nous et le monde,  corps-monde interfacé.

De sa technique qu'il qualifie de "peeling", il dit la nécessité de percer et découper une silhouette à la surface "plate" du métal : "in my line of jewellery, I developed the technique of "peeling", which involves piercing or cutting a silhouette onto the flat metal surface (copper, bronze, silver), then giving it form by hand by lifting the silhouette from the surface".

Et cette surface exprime. Elle esquisse une silhouette. Elle prend forme en s'épanouissant  dans l'espace. L'artiste décrit ses créations comme des "formes qui n'existent dans aucune autre forme". La surface exprime en un sens renouvelé, elle "ex-prime", comme pour la première fois, comme un premier "jus" précieux et rare. Elle s'épanouit dans l'espace comme l'essence du parfum, comme le cœur du joyau. En ce sens comme en bien d'autres, le travail de l'artiste rejoint celui de l'artisan.

La silhouette de l'œuvre projette son ombre dans l'espace et les reflets de la lumière sur sa surface. Chacune contient une multitude de figures sous-jacentes, projections d'ombre et de lumière, projections d'œuvres dans et en dehors de l'œuvre. Les surfaces, découpées et relevées dans l'espace, ouvrent une infinité de possibles. Le dessin, esquissé sur la plaque de métal, conduit la silhouette vers une multitude de formes. La découpe se soulève pour dévoiler ce qu'elle cache ou révèle, à savoir cette multitude-même, à nouveau à peine esquissée dans l'espace où l'œuvre s'installe. Ces formes, qu'elle porte en elle et qu'elle recouvre en même temps, incluent une infinité de directions, une infinité de volumes possibles, entre ombre et lumière, une infinité révélée dans l'espace de la pièce, qui est l'œuvre et qui est multiplicité d'espaces et de surfaces.

Pour l'artiste, prime l'exigence de n'accepter aucune soudure. Parce que la plaque de métal "ex-prime", qu'elle porte en elle la figure, elle la porte entièrement et dans son entièreté. Rien ne vient ni ne peut venir s'y adjoindre ni s'en exclure. Le refus de la soudure ne tient pas de l'exercice de style, de la virtuosité maîtrisée, il tient à ce que tout est déjà là. Le voile et le site se rejoignent. La surface comme voile et comme site, comme fondation et comme archétype.

Ce n'est plus la matière qui porte en elle la forme, c'est la surface qui porte l'espace et le volume. Le sculpteur produit ici un acte où se croise le geste du graveur et l'inspiration du lithographe. Les grands lithographes ont marqué José-Maria Garcia Armenter dans sa formation et dans ses rencontres plastiques, mais il s'appuie sur la découpe, non sur le retrait. Si tout est conservé de la surface originelle c'est que tout est en elle, qu'elle porte et comporte tous les possibles qu'elle soulève comme un voile, qu'elle relève comme une matière. Spatiale et tridimensionnelle, la plaque de métal est plus qu'une surface, elle montre plus que la surface des choses qu'elle recouvre. Bien plus qu'une multiplicité de surfaces, l'œuvre est un volume multiple, y compris dans ce qu'elle a d'immatériel. Le crayon de l'artiste est comme un pinceau, la scie comme un stylet, le point comme un trou, le geste de l'artiste dégage un "espace-entre", un filet qui est déjà un interstice constitué.

Pour José Maria Garcia Armenter l'exigence plastique impose qu'il n'y ait aucune perte, "no waste at all", car la matière, en acte dans la surface, est déjà volume en puissance, en torsion et contorsion.  La gravure n'est pas rejetée mais incorporée, elle tient du symbole, de "ce qui est porté avec" et par le métal. A ce titre, l'artiste évoque d'ailleurs les armoiries et les sceaux, comme le positif et le négatif, l'image inversée, "trans-portée", qui nécessite de l'artiste qu'il tienne ensemble, dans le processus de son travail la silhouette et son inverse, le positif et le négatif, l'image et son image en miroir, le volume comme un creux dans l'espace, l'espace comme une silhouette en creux. Le propre de l'artiste est qu'il porte en lui toutes ses images que l'œuvre comporte.

A ce sujet, il évoque l'importance du processus qui convoque la forme : "the most important of the process is taking the decision : I cannot make a mistake. There are so many possibilities". Répétée un nombre infini de fois, la silhouette dessinée par l'œuvre conduirait à chaque fois à une nouvelle forme, une nouvelle œuvre.
 
Frédérique Boitel
Paris, novembre 2008
 
 
Museum of Modern Art Mexico City, Philadelphia Museum of Art, the London Art Institute
Circle Gallery Soho New York, Saatchi Gallery London

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