Aden - MarseilleD'un port à l'autre
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Aden - Marseille / D'un port à l'autre
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Regroupant près de 120 000 œuvres de toutes périodes historiques et origines géographiques, les musées de Marseille mènent depuis quelques années une réflexion approfondie sur l'histoire et le contexte d'acquisition de leurs collections.
L'exposition "Aden – Marseille / D'un port à l'autre" va entièrement dans ce sens. Elle est présentée du 20 novembre 2025 au 29 mars 2026 au Centre de La Vieille Charité ancien établissement d'assistance, construit au XVIIᵉ siècle dans le quartier du Panier qui surplombe le Vieux Port de Marseille. Aujourd'hui classé au titre des monuments historiques et transformé en centre culturel et muséal, ce lieu emblématique de la ville abrite plusieurs institutions culturelles, dont le Musée d'Archéologie Méditerranéenne et le Musée des Arts Africains, Océaniens et Amérindiens. "Aden – Marseille / D'un port à l'autre" interroge le parcours d'objets provenant du Yémen ainsi que les échanges commerciaux, scientifiques et diplomatiques aux XIXᵉ et XXᵉ siècles. Cette exposition, explore aussi les interactions entre Marseille et Aden, notamment depuis l'ouverture du canal de Suez en 1869, qui a favorisé les circulations commerciales et humaines. Elle constitue un terrain privilégié pour examiner les processus de circulation, de transformation et d'appropriation des objets entre la péninsule Arabique et l'espace méditerranéen. En juxtaposant des artefacts antiques, des archives modernes et des productions plastiques contemporaines, elle propose non seulement un récit historique, mais un véritable examen critique des conditions matérielles et politiques de la constitution des collections marseillaises. Dans la lignée des travaux d'Arjun Appadurai (1) sur la vie sociale des objets et de ceux d'Igor Kopytoff (2) sur leur "biographie culturelle". l'exposition fait du déplacement de l'objet son principe heuristique central. Les artefacts sudarabiques exposés ne sont pas appréhendés comme des témoins neutres d'un passé lointain : ils sont analysés comme les produits d'ensembles relationnels complexes — réseaux marchands, circulations savantes, diplomatie consulaire, dons privés, dynamiques coloniales et pratiques muséales européennes. Les commissaires de cette manifestation – Ann Blanchet, Juliette Honvault et Marianne Cotty – ont conçu un parcours riche et documenté, basé sur un partenariat scientifique ambitieux entre les musées de Marseille et le Musée du Louvre. Leur objectif est de raconter l'histoire fascinante des relations entre ces deux ports, tout en interrogeant les contextes historiques et éthiques liés à la constitution des collections publiques. Ne nous trompons pas, l'exposition ne se limite pas à un regard nostalgique ou archéologique, elle met en résonance : passé historique, circulations anciennes et réalités contemporaines en montrant aussi des témoignages et des créations d'Aden - Marseille / D'un port à l'autres yéménites vivant à Marseille. Tout en soulignant la richesse du patrimoine yéménite, les commissaires ont souhaité sensibiliser le public à l'importance de préserver le patrimoine culturel du Yémen, gravement menacé par les conflits actuels. En effet, le contexte actuel au Yémen — guerre, crise humanitaire, fragilisation du patrimoine culturel — confère un poids particulier à cet événement focalisé sur la préservation du patrimoine culturel yéménite menacé par les conflits. Il met en lumière la mémoire, les liens anciens et la richesse culturelle d'un pays aujourd'hui souvent réduit aux récits de conflit. Il se veut acte de mémoire, de résistance contre l'oubli. En montrant des échanges réels, des circulations humaines, commerciales et culturelles entre les deux villes portuaires que sont Aden et Marseille, l'exposition rappelle que l'histoire contemporaine de l'Europe et de la Méditerranée est profondément connectée au Moyen-Orient et à la Corne de l'Afrique — ce qui peut contribuer à nourrir la réflexion Ô combien d'actualité sur les sujets : migration, intégration, diversité culturelle, solidarité internationale, etc. Elle rend aussi visible une partie méconnue du patrimoine marseillais — des objets, des récits, des héritages issus de sa relations avec un port lointain, Aden — ce qui enrichit la mémoire locale et offre un miroir du lien méditerranéen. Le noyau du parcours de cette exposition est constitué par la trentaine d'objets, du VIIIᵉ siècle avant J.-C. jusqu'au VIᵉ siècle de notre ère, provenant du Yémen. Cette frange méridionale de l'Arabie a vu naître dans l'antiquité une brillante civilisation sudarabique, l'une des plus raffinées que le monde de l'époque ait engendré. Elle était composée d'une constellation de royaumes dont celui de Saba demeure le plus remarquable. Indépendants par leurs pouvoirs mais unis par un même souffle culturel, ces royaumes cultivent une écriture commune, perfectionnent l'art d'apprivoiser l'eau dans un paysage aride, honorent les mêmes dieux et bâtissent selon des formes voisines. Ces artefacts ont été offerts à la Ville de Marseille au tournant du XXᵉ siècle par : la Compagnie des Messageries maritimes (CMM) et la famille Riès3, négociants et agents consulaires français à Aden. À ces pièces s'ajoutent environ une centaine de prêts provenant d'institutions majeures, notamment : le Musée du Louvre, le British Museum, le Kunsthistorisches Museum de Vienne, le Vorderasiatisches Museum de Berlin, des collections universitaires et privées européennes. Parmi les œuvres exposées nous trouvons quelques objets majeurs d'art sudarabique antique dont la Statue de taureau en albâtre (VIIIe–VIIe siècle av. J.-C.), emblématique de l'iconographie cultuelle sudarabique ; un dossier de trône en albâtre portant une dédicace au dieu Almaqah4 (VIIe siècle av. J.-C.), provenant vraisemblablement d'un espace rituel ou palatial ; un brûle-parfums en albâtre orné de motifs géométriques typiques des royaumes de Saba et de Qataban (5) - des fragments de stèles votives portant des inscriptions en écriture musnad6 - des objets votifs (plaquettes, offrandes animales, fragments de mobilier cultuel) provenant de sites sabéens et qatabanites (7) - et plusieurs éléments d'architecture : chapiteaux, pierres sculptées, reliefs ornementaux provenant d'édifices religieux et civils. Sont également présentés des archives et documents : photographies anciennes d'Aden et de Marseille, témoignant des transformations urbaines et portuaires ; correspondances de la famille Riès ; registres et papiers de bord des navires des Messageries maritimes ; documents relatifs au commerce du café, aux flux migratoires et aux routes maritimes reliant la mer Rouge et Marseille. Illustration de la modernité, une oeuvre de Thana Faroq, Imagine me like a country of love (2025) — une exploration visuelle de l'identité diasporique et de la reconstruction de soi. Une autre de Youssef Nabil, The Yemeni Sailors of South Shields (2006) — une série photographique abordant l'histoire méconnue des marins yéménites installés en Angleterre, en écho aux circulations maritimes évoquées dans l'exposition. D'autres Aden - Marseille / D'un port à l'autres yéménites ou issus de la diaspora complètent ce volet, ancrant le récit dans une contemporanéité marquée par l'exil, la mémoire fragmentée et la résilience culturelle. L'approche retenue par les commissaires s'appuie sur une méthodologie pluridisciplinaire combinant : l'archéologie sudarabique, l'histoire maritime, l'anthropologie des circulations, les études post- coloniales et l'histoire des collections et des institutions muséales. Ce cadre analytique permet donc d'interroger tout à la fois les pratiques d'acquisition des musées européens (dons privés, collectes en contexte colonial, achats sur les marchés de l'art levantin), mais aussi les échanges diplomatiques entre consuls, négociants et institutions savantes. Dans un contexte de guerre et de destruction systématique du patrimoine au Yémen, les artefacts présentés acquièrent une dimension profondément politique. Leur présence en Europe devient l'occasion d'une interrogation sur : les responsabilités patrimoniales des institutions occidentales ; les conditions d'une restitution symbolique ou documentaire ; la nécessité d'une documentation scientifique qui puisse servir un jour à la reconstruction du patrimoine local. "Aden – Marseille / D'un port à l'autre" n'adopte ni une posture apologétique ni revendicative : elle privilégie un positionnement réflexif, où le musée apparaît comme un lieu de négociation mémorielle. En associant objets antiques, archives coloniales et œuvres contemporaines, "Aden – Marseille. d'un port à l'autre" propose une polyphonie de temporalités et de points de vue. Les pièces patrimoniales sudarabiques présentées incarnent une histoire longue de la “ritualité” et de l'artisanat. Les archives des Messageries maritimes restituent les circulations économiques et humaines à l'époque impériale. Les œuvres contemporaines redonnent voix à des subjectivités yéménites souvent absentes des récits muséaux occidentaux. In fine, "Aden – Marseille / D'un port à l'autre" démontre comment un ensemble d'objets venus d'un même espace géographique — l'Arabie du Sud — peut devenir : laboratoire d'analyse des dynamiques méditerranéennes ; outil de réflexion critique sur l'histoire des musées ; lieu de réinscription des mémoires diasporiques et, potentiellement, vecteur de solidarité internationale. Elle réaffirme aussi le musée comme institution de médiation, capable d'articuler savoir, mémoire et éthique.
Philippe Albou
Aix-en-Provence, décembre 2025
Aden - Marseille / D'un port à l'autre, Centre de la Vielle Charité, 2, rue de la Charité, 13002 Marseille
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