ABC, Art Belge Contemporain
au Fresnoy
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ABC, Art Belge Contemporain

Jan Fabre, Spinnenkoppentheater, 1979 Mixed Media
Courtesy SMAK, Stedelijk Museum voor Actuele Kunst, Gent. Photos Dirk Pauwels, SMAK, Gent.

 
 
 
 
Les travaux d'une quarantaine d'artistes vivant en Belgique sont actuellement montrés au Fresnoy, Studio national des arts contemporains, à Tourcoing. L'occasion pour certains de revoir, ainsi regroupées, de bien singulières pratiques, mais aussi d'y découvrir quelques œuvres rarement présentées.

Tourcoing, ville du Nord de la France, tente depuis quelques années de se reconstruire suite au démantèlement de ses industries. Elle a compris, encouragée en cela par la politique culturelle poursuivie par Martine Aubry, que la création artistique pouvait servir et revaloriser l'image d'un territoire. Cette ville, située à moins de 5 minutes de la frontière belge, s'est dotée d'institutions culturelles dynamiques et de lieux d'enseignements supérieurs artistiques qui, intéressés par l'art contemporain, tissent depuis de nombreuses années des liens forts avec la scène belge contemporaine. Il est ainsi significatif de noter que les étudiants de l'Ecole Supérieure d'Art (l'Ersep) se tournent naturellement vers la Belgique plutôt que la France - vers Bruxelles plutôt que Paris -, en matière de références artistiques. De grandes expositions organisées par l'Université, telle Amicalement vôtre (2004) (1), réunissant plus d'une soixantaine d'artistes qui pour la plupart sont Belges ou vivent en Belgique, furent élaborées en ce sens. Parallèlement, l'Ecole d'art a multiplié ces dernières années les invitations faites aux artistes belges sous la forme de workshops, d'expositions, de conférences, d'entretiens et d'articles suscités entre autres par la revue Parade (2). Ces initiatives ont permis au public élargi, aux professionnels du milieu artistique ainsi qu'à la jeune génération concernée par l'art de bien connaître les pratiques artistiques de Belgique, ayant ainsi eu à de nombreuses occasions l'opportunité de travailler directement avec certains artistes. Réciproquement, l'Université, l'Ecole d'Art et le Musée des Beaux-Arts de Tourcoing sont loin d'être inconnus de plusieurs artistes exposés à ABC au Fresnoy.

Alors que faut-il penser des propos du communiqué de presse de Dominique Païni, commissaire de l'exposition, propos repris dans le numéro de Art Press 2, selon lesquels : "Proximité et évidence aveuglent : la France méconnaît relativement la richesse, la diversité et l'actuelle agitation artistique chez l'un de ses plus proches voisins." (3)

On peut se demander en effet de quel aveuglement il s'agit et il semble intéressant de s'interroger sur une telle formulation. Doit-on y lire que l'auteur découvre la scène belge simultanément à la fabrique de sa présentation ? Ou bien croit-il que cette scène est pour la première fois, et par lui, montrée, comme le titre de l'exposition (ABC) le suggère ? Aveu de découverte ou effet d'annonce ? Mais alors, si découverte il y a, - ce qui, pour des artistes tels Michel François ou Ann Veronica Janssens, n'est que peu probable -, qu'en est-il de la recherche qui théoriquement préside à une exposition ? Vers quels acteurs culturels le commissaire s'est-il tourné pour découvrir et sélectionner les artistes ? Comment a-t-il opéré la sélection ? Quel rôle ont joué les galeries ? Beaucoup de questions certes, mais l'idée selon laquelle ces artistes sont méconnus ne constitue pas un argument qui justifierait le propos.

Autre question, assurément d'un autre ordre, mais qui mérite d'être soulevée : pourquoi Art Press produit-il de nouveau un numéro spécial sur cette exposition, c'est-à-dire sur le Fresnoy ? D'autant que ce dernier suit de peu un autre numéro spécial d'Art Press titré "Le Fresnoy - 10 ans de création". (4) Ne risque-t-on pas ainsi de mettre définitivement en péril l'idée que l'on peut se faire de l'esprit critique de la presse artistique ?

Pour citer Yve-Alain Bois (et ne pas rejeter en bloc les contenus d'Art Press), sommes-nous ici dans "une exposition spectacle, dont le contenu proprement dit importe de moins en moins (ou dans) une exposition recherche qui entend faire avancer la connaissance soit en mettant au jour des matériaux jusque là inexplorés, soit en proposant une nouvelle interprétation des objets présentés" ? (5) Attachons-nous à cette dernière partie, en analysant les conditions de présentation des œuvres. S'agit-il de nouvelles interprétations ?

Comme la plupart des grandes institutions, le Fresnoy travaille en matière de mise en scène avec un scénographe, ici Jacky Lautem, qui cette fois-ci, semble-t-il, aurait à quelques détails près conservé la même scénographie que celle de l'exposition Panorama 12 (juin-juillet 2010), présentant les travaux des étudiants du lieu. Ainsi pas de nouvelle scénographie générant des dispositifs spécifiques d'accrochage en fonction des œuvres. Ces dernières sont de nouveau situées dans l'espace central du Fresnoy, baptisé la nef, lequel est entièrement baigné dans l'obscurité. Et la nef, comme naguère, semble ici nous dire : "Voici l'Institution". C'est donc dans cet espace monumental que sont dispatchées les œuvres. Des découpes éclairent les images fixes, placées sur un fond noir et uniformisant, tandis que les vidéos, accessibles pour certaines par un lourd rideau sombre, sont pour la plupart projetées dans les conventionnels black box aux murs tendus de tissu noir. Le même tissu recouvre donc l'ensemble des surfaces. L'effet est théâtral, asphyxiant, pour ne pas citer Dubuffet. Il convient pour certaines installations, comme celle d'Ann Veronica Janssens, Untitled (Martin Mac2000 performance), présentée ici dans une totale obscurité. Ainsi exposée, l'esthétique sensorielle de la pièce est parfaitement restituée : son effet stroboscopique et hypnotisant enveloppe le corps du spectateur. Cette pièce, montrée récemment au Wiels (6) (Bruxelles), gagne ici en efficacité mais la ténébreuse immersion dans laquelle le Fresnoy baigne ses spectateurs y est certainement pour beaucoup. En revanche, les conditions générales des dispositifs d'accrochages de certaines pièces soulèvent quelques questions, à commencer par la célèbre pièce de Jan Fabre Spinnenkoppentheater, (Théâtre d'araignée, 1979) exposée de manière permanente au S.M.A.K (Gand) depuis plusieurs années, et devant contenir des mygales vivantes. Mais ici les bestioles sont mortes, élément qui change considérablement le sens de l'œuvre. De même, rapprochée comme elle l'est d'autres pièces sans lien, l'étonnante vidéo de l'artiste vidéaste Koen Theys, Patria (Vive le roi ! Vive la république !), 2008, perd en force et en lisibilité, comparée aux conditions de présentation dont elle avait bénéficié à la Biennale de Bruxelles en 2008. Là-bas, la vidéo happait littéralement le regard, en prodiguant une ampleur au jeu des personnages revêtus de l'uniforme policier, mollement allongés sur une estrade, et formulant tour à tour, en français, flamand ou allemand des phrases du type : "Vive la Flandre ! vive l'anarchie ! vive la matraque ! vive les brocolis ! vive la Wallonie", etc. Cette scène dans laquelle figuraient de vrais chiens policiers fut filmée de nuit à la lueur d'un gyrophare, l'artiste s'inspirant d'un tableau de Gustave Wappers, Episodes des journées de septembre 1830, (1835), célébrant l'indépendance de la Belgique. Difficile aussi de comprendre par exemple pourquoi la vidéo de type narrative de Sven Augustijnen, Le guide du parc (2001) - qui nous emmène par un documentaire fiction remarquable dans les bas-fonds du parc royal de Bruxelles et dont la durée est de 20 minutes -, est ainsi présentée sans recul nécessaire pour la percevoir, ni banc pour s'assoir, montrée telle que pourrait l'être une vidéo purement formelle. On sait qu'aujourd'hui, les dispositifs d'accrochage participent au sens et à la lecture de l'œuvre, et ces quelques exemples sont à même de nous interroger. En outre et conséquemment, à l'exception de quelques installations, dont celle parfaitement maitrisée de Honoré d'O, aucune œuvre n'a été réalisée in situ (par les artistes donc ou simplement disposée suivant leurs intensions), ce qui est particulièrement dommage, vu justement la proximité géographique du Fresnoy et de la Belgique, dont l'exposition fait son argument.

Quant à l'articulation des pièces entre elles, rien ne nous a semblé vraiment lisible (pourquoi telle pièce aux côtés de telle autre ?). On peut retenir cependant l'idée d'inscrire les artistes vivants dans un certain héritage. Ainsi quelques rares pièces historiques étaient présentées : une vidéo de Marcel Broodthaers, une installation de Marie Jo Lafontaine, et un petit film sur Panamarenko. C'est un peu maigre, un peu convenu aussi.

Tournons-nous à présent vers les propos de Dominique Païni lors du vernissage presse. D'emblée, furent abordées la situation politique belge, ainsi que l'immense inquiétude qu'elle (lui) suscitait. Face à cette actualité politique brûlante, un remède, selon lui : les artistes, la culture. Et d'enchaîner sur la scène belge, en usant des termes belgitude, humour, absurde, burlesque, parodie et esprit potache. Soit mais peut-on en faire une spécificité ? Est-ce une catégorie esthétique pertinente ? Et au fond, quoi de plus absurde que d'expliquer l'histoire à un lièvre mort, quoi de plus idiot que de vouloir exposer un urinoir, quoi de plus clownesque que de se déclarer auteur d'une éruption volcanique ? Et la merde en boîte, n'est-ce pas un peu potache ?

Si l'humour peut servir de catégorie simple et lisible pour le grand public, elle ne suffit pas à qualifier la scène belge. Certaines des pièces ici montrées engagent à l'inverse des comparaisons avec des artistes venus d'horizons différents empêchant en cela de les enfermer dans une catégorie nationale. Ainsi, les images d'Emilio Lopez Menchero ne sont pas sans rappeler celles d'Oliver Blanckard, se travestissant aussi en personnalités artistiques ; les vidéos de Gwendoline Robin usant d'explosif évoquent les performances de Roman Signer ; la marche silencieuse du Voyant Aveugle IV de Leo Copers qui tente d'avancer à l'aide d'une canne dans les salles du Musée d'art moderne de Bruxelles peut renvoyer à la couverture de The Blind Man, livret de l'exposition The Independants, 1917, où Duchamp tenta de présenter son urinoir, etc. On le voit, cette spécificité burlesque n'est pas suffisante et tend à étouffer le regard. Et au fond, rien de très drôle dans le travail de Michel François, Autoportrait contre nature (2001) où l'artiste, filmé au ralenti écrase pas à pas les débris des bouteilles de vin. Rien d'hilarant non plus dans l'ensemble du travail d'Edith Dekyndt, d'Ann Veronica Janssens, dans les installations d'Honoré d'O, etc.

Cependant, si on analyse les pratiques de ces artistes, une chose mérite d'être relevée, et se donne comme une évidence au fil de cette exposition : il s'agit de la présence de l'artiste sur le lieu même de l'œuvre. En effet, dans la majorité des images, nous assistons à des scènes où l'artiste se sert de son propre corps comme instrument de représentation. Ici, le corps de l'artiste et les actions qu'il engage construisent la forme plastique de l'œuvre. Cela se vérifie dans les œuvres de Marcel Broodthaers, Jacques Charlier, Leo Copers, Michel François, Emilio Lopez Menchero, Pol Pierart, Gwendoline Robin, Sophie Whettnall, etc. Et si l'artiste n'est pas réellement présent sur le lieu de l'œuvre, il peut user d'un alter ego, tel le guide dans la vidéo de Sven Augustijnen. Il peut encore être radiographié (Jan Fabre) ou bien interrogé par le biais d'installations sensorielles qui impliquent le corps du spectateur (Ann Veronica Janssens). Il ne s'agit pas ici d'œuvres qui s'inscrivent dans l'histoire du body art. Ce sont des corps qui renvoient davantage à la façon dont Broodthaers, lui-même, s'est servi du sien pour interroger la figure de l'artiste et les processus de fabrication de l'œuvre mis en scène par la présence physique de l'artiste sur le lieu de l'œuvre. Quelque chose qui aurait plus à voir avec l'identité réflexive de l'image de l'artiste. Une belle exposition aurait pu se profiler sous cet angle au Fresnoy, mais on ne refait pas l'hsitoire.

L'exposition ABC permet d'offrir une visibilité à la scène belge contemporaine. Le Fresnoy dispose de solides moyens financiers et maîtrise bien sa communication. Et les artistes doivent s'en réjouir, même si la plupart d'entre eux n'ont pas attendu le Fresnoy ni la France pour montrer leur pratique. La question est de savoir quand Bruxelles (le Wiels, Bozar ?) se donnera-t-elle les moyens d'exposer ses voisins français, pourtant si proches mais si peu connus à l'international ? Quelles caractéristiques majeures émergera-t-il de ce regroupement ? Et le commissaire, s'inquiétera-t-il, comme le fit Dominique Païni, pour la France, les Français et leurs politiciens ?
 
Nathalie Stefanov
Bruxelles, Octobre 2010
 
 
ABC, Art Belge Contemporain, du 9 octobre jusqu'au 31 décembre 2010
Le Fresnoy, Tourcoing - www.lefresnoy.net


(1) Amicalement vôtre, Musée des Beaux-arts, Galerie Commune, 36 bis La Galerie de l'Ecole, Hospice d'Havré, Maison Folie, mars-mai 2004. Exposition suscitée par le Département arts plastiques de l'Université de Lille 3, sous l'impulsion d'Yves Brochard. Le catalogue, comportant de nombreux entretiens, des notices détaillées sur les œuvres ainsi que des vues d'ensemble de l'accrochage, à été dirigé par Véronique Goudinoux et Mathilde Decaux.
(2) Pour les entretiens et articles sur les travaux de Sven Augustijnen, Michel François, Ann Veronica Janssens, Emilio Lopez Menchero, Harald Thys et Jos de Gruyter, artistes présents sans l'exposition ABC, voir les Parade n°3, n°4, n°5, n°6 et notamment n°8. Parade, revue d'art et de littérature, Esrep. www.revueparade.net
(3) Art Press 2, ABC- Art belge contemporain, n°19, nov./déc./janv. 2010,
(4) "Le Fresnoy - 10 ans de création", "Art Press 2" n° 11, novembre 2008 - janvier 2009
(5) Yve-Alain Bois, "L'exposition dans la pratique de l'historien d'art", in Art Press, spécial "Oublier l'exposition", n°21, 2000, p.48
(6) Wiels, Exposition Ann Veronica Janssens, Serendipity, Bruxelles, 5 septembre/6 décembre 2009

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