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Vasso Tseka

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Les couleurs de l'invisible
 
L'œuvre de Vasso Tseka est une longue ligne légèrement ondulante d'extases, un fleuve apparemment tranquille qui avance inexorablement, égal à lui-même et toujours différent. Il s'appuie sur une maîtrise parfaite du pastel, du dessin, du pigment appliqué par un pinceau, du trait et de la suggestion où intervient sa collusion avec la lumière, et la couleur évidemment. Il révèle également un esprit ouvert aux réalités de l'être humain, à ses pensées et ses mouvements intérieurs quelque latents qu'ils soient. Son langage pictural est un défi pour celui qui tente de le décrire, de le verser en paroles, de le saisir, car il poursuit lui-même le temps, la lumière, le concept, la marche tout aussi visible qu'invisible des saisons et des sentiments, le corps fugitif de ce que nous appelons esthétique.

Au cours des années, ce langage pictural, qui d'ailleurs se réfère à une maîtrise remarquable de tout ce qui se rapporte au pastel et aux pigments, au pinceau et à la plume et ses adjoints, s'est drapé dans des apparences diverses et suggestives dans des rythmes qui s'enfuient quand on croit les saisir, dans des contes qui s'évaporent au cours de leur lecture. En plus il est resté égal à lui-même ce qui veut dire qu'il n'y a pas de soubresauts ni de soudains volte-face, ce qui n'exclut aucunement une évolution que j'appellerais tendre et pondérée, méditative et inspirée.
Le mystère, la passion, le temps, le rythme des saisons et l‘éclat de la lumière sont les domaines où elle s'est installée, dotée d'un métier sûr, d'un élan poétique toujours recommencé, d'un enthousiasme exemplaire, d'un besoin de se renouveler, de s'interroger et de modeler un langage pictural et graphique nouveau ou du moins très personnel.

On peut se poser la question s'il est opportun ou souhaitable de bien distinguer et d'ordonner chronologiquement les diverses phases de sa créativité, car, même si le fond, l'arrière-pensée et la flamme qui a déclenché son inspiration ou son fredonnement graphique et pictural sont conçus nettement et varient au cours des années, son style unique se reconnaît d'emblée. La question de désignation temporelle se pose ainsi bien moins que d'ordinaire. Cela nous paraît surtout le cas dans ses œuvres des dernières années, disons dans ce qu'elle a réalisé depuis quelque dix ans. Elle a débuté d'une manière moins frêle, dirions-nous, plus expressive avec une gestualité plus généreuse et des pinceaux plus larges et plus physiques en quelque sorte. En écrivant ceci nous pensons bien entendu à ses Paravents (1988-1989) qui sont des pastels à l'huile sur papier remarquables et qui annoncent son don de manier les couleurs et les rencontres suggestives de rythmes et de tonalités.
Il s'y révèle une manière de peindre qui n'a pas vraiment disparu par la suite, dans ses œuvres ultérieures, mais qui s'est en quelque sorte éclipsée pour permettre à la poésie et à la spiritualité de se manifester et de se déployer. La spiritualité est d'ailleurs une donnée de base de la créativité de Vasso Tseka. Nous avons quelque réticence à rappeler le fait qu'elle est Grecque pour en tirer quelque conclusion que ce soit, mais ceux qui ont eu le privilège de lui parler et surtout de l'écouter ont dû se rendre compte que sa manière d'aborder ce qui se rapporte aux beaux-arts en général et en particulier en ce qui la concerne est nourrie par une passion et un abandon rares. A cela s'ajoute une maîtrise hors pair des éléments qui constituent une expressivité comme la sienne. Ses paravents constituent une infime partie de son œuvre mais ils nous semblent révéler le début d'un dialogue fort éloquent entre la couleur et le rythme, entre une passion larvée et une harmonie naissante. Ils annoncent aussi bien la naissance de la lumière que l'épanouissement d'une vaste recherche spirituelle.

La lumière se réfère au cycle de la Genèse (1989-1990), la recherche de l'impossible à celui d'0rphée (1992-1996). Au point de vue de la structure, on pourrait dire que dans toute l'évolution de son œuvre les plans de couleurs et de signifiants se libèrent ici de manière extatique en quelque sorte pour se sublimer, s'approfondir, s'évaporer et puis se replier plus tard dans le sanctuaire du temps, arrivant, présent ou venant. Son cycle de la Genèse, pastel à l'huile sur papier, est un ensemble remarquable voisin de Paravents et déjà bien loin. Des pans d'une entité tour à tour ondulante ou courbée et étirée ou étendue s'accompagnent d'une frange de lueur naissante ou inversement, un filet lumineux s'avance dans ce qui était noirceur et qui, à vue d'œil se réveille en devenant forme ronde, sensuelle avant la lettre, énigmatique dans sa solidité qui hésite. Dans sa Genèse elle s'imagine comment naissent des structures, comment la magie de l'impalpable crée des formes. Elle est spectatrice privilégiée dessinant et peignant un spectacle fondamental, celui de la grande naissance qui est aussi son entrée en matière toute personnelle et d'emblée convaincante. Cela lui permet de suggérer et de saisir un rythme tout-puissant qui pénètre de son éclat doré le bleu profond du vide et de l'attente.

Une fois la genèse accomplie, les êtres humains et leurs enfers ont pris forme et la tragédie se juxtapose aux champs de bonheur ou de béatitude. L'éternel compagnon et rival de la lumière se manifeste dans cette autre série de pastels à l'huile sur carton, celle d'Orphée. Elle date des années 1992-1996 et est tout aussi chargée de significations et de sensibilité traduites par l'obscurité, la noirceur, l'ombre, le foncé, un bleu profond, des ocres d'orage et la luminosité énigmatique d'un lointain inaccessible et ensorceleur. Travailler les foncés, voilà son entreprise de peintre. Transcrire ou palper l'histoire d'un amour perdu et de la défaillance humaine, voilà son arrière-pensée et son élan d'être humain, de femme. Orphée incarne magistralement cet étrange voyage dans l'espace de l'esprit et des tonalités, qui se développeront d'ailleurs, se volatiliseront visiblement dans ses œuvres ultérieures. En une suite d'approches et de ‘touches', ce cycle évoque le mythe et la recherche de l'impossible, la révolte et la colère des dieux, le voyage dans les ténèbres et le retour dans une lumière qui semble cruelle, maintenant que l'être aimé s'y est englouti entouré des ombres de la défaite. L'ensemble est tellement suggestif et la guerre entre lueurs et obscurité tellement tendre et menaçante en même temps que le spectateur s'y avance comme s'il s'agissait de son propre destin. Celui qui regarde du moins.

Ainsi il devient de plus en plus évident que toute l'œuvre de Vasso Tseka est un témoignage hautement personnel, une mise à nu et en même temps un défi pictural qui se répète au cours de ses cycles ou qui, mieux dit, s'approfondit et s'éloigne des chemins battus de l'art actuel universel des épigones qui s'ignorent. Tout comme ses cycles sont des phénomènes visuels qu'on peut interpréter dans un sens littéral aussi bien que figuré, sa thématique est un témoignage lyrique aussi bien que gestuel et un superbe prétexte à une manière de créer qui dépasse de loin le récit, l'histoire et ce qu'on appelle les saisons, les mois, le temps qui passe, qui est passé et qui vient.
On pourrait l'appeler pastelliste, mais il va de soi qu'on ne saurait la limiter à ou la classer dans une discipline déterminée une fois pour toutes. Elle n'appartient pas non plus à la famille des peintres qui s'expriment en une gestualité expressionniste accompagnée d'une explosion de couleurs violentes et de pâte volumineuse. Mais à quelle famille appartient-elle au fond ? La sensation ne l'intéresse aucunement. Et la conceptualité ? Elle la pratique mais d'une manière plus subtile et plus intériorisée que ce que nous retrouvons dans la plupart des expositions d'artistes actuels. Elle a en effet trop de métier et de richesse spirituelle pour devoir entrer en compétition avec ceux qui occupent, le plus souvent avec une arrogance déconcertante, la scène des nouveautés picturales, graphiques, sculpturales et autres. Il va de soi que je m'adresse ici principalement à celui qui aime et/ou apprécie l'expressivité, la poésie, la sensibilité, la flamme des mythologies individuelles et autres.
Dans tout ce que Vasso Tseka réalise, il y a une part de recherche. Cela s'applique aussi bien à elle-même qu'à ce qu'on pourrait appeler la créativité, l'expression picturale, l'écriture dans le sens le plus large et le plus graphique du terme, l'esthétique aussi. Elle veut toujours aller plus loin, car elle connaît ses possibilités et elle aime le défi qu'elle aborde diligemment. Nous pensons ici concrètement à ses encres qui visualisent la magie des formes, de la croissance, des vides possédés par un être fabuleux qui ne sort que quand tombe la nuit et que la lumière s'évapore. Nous pensons aussi à ses carnets, où elle dessine la plus baroque et aussi la plus éthérée des fantaisies imaginables. Ses carnets poétiques, tout comme le coffret des pastels de la Genèse, sont des objets précieux, des joyaux bibliophiles où la parole rencontre l'image et inversement, où l'un se fond dans l'autre.

En 1998 paraissent les premiers pastels consacrés aux saisons, au fleuve du temps, au Temps passant (jusqu'en 2002) d'abord. Puis viennent les pigments du Temps venant dès 2003-2004. La série des Anges de 2005, des encres sur papier se situe entre les deux. L'or y fait son apparition et annonce le Temps arrivant, pigments (et or) sur papier et encres sur papier doré en 2006. Quelquefois des éléments d'une série se réalisent en même temps que ceux d'un autre cycle. L'artiste y révèle de toute manière qu'elle a atteint une maturité étonnante tant dans le domaine de la réflexion et d'une profondeur méditative que dans celui du coloris et de la suggestion. Une saison est en effet une entité qui porte les traces de celle qui précède tout en contenant déjà des spores de celle qui suit.
Le temps passant est un hymne à la lumière. Il est abstraction et figuration en même temps, glissement de couleurs, ébullition, épanouissement suggestif où le spectateur découvre sa propre faculté de voir, d'interpréter, de suivre un fil invisible, d'entrer dans une cascade de bleus, de rouges, de jaunes, d'ombres, de luminosité, de floraison et de recueillement. Dans chaque tableau l'artiste évoque une saison, un hiver serein, un automne d'une maturité éblouissante, un été où des souvenirs créent ombre et lumière, un printemps de toutes les couleurs. L'image plonge dans la pensée; la couleur est un navire sur un courant souterrain.

Les Anges (2005) sont des encres et or sur papier. Ils illustrent la continuité d'une inspiration technique qui aborde un terrain quasiment inexploré quoique déjà présent dans la manière de manier le pinceau, la plume ou le feutre. On y découvre plus nettement peut-être que dans ses pigments comment l'artiste pratique une forme d'écriture non pas automatique mais quand même révélatrice de ses états d'âme, du rythme du moment où il y a certes une part de méditation et de concertation mais où intervient également la magie de l'imagination. Elle circonscrit ses anges comme des situations, bénéfiques ou menaçantes, des présences réalisées d'un seul trait qui se prolonge et qui séduisent le spectateur. Elle s'y révèle comme une ensorceleuse dans ce sens notamment que ses tableaux/dessins évoquent et suggèrent, attirent l'œil de celui qui les regarde, suscitent en lui des images qui s'étaient réfugiées dans son subconscient et qui y séjournaient à l'état larvé.
L'or fait son apparition sous la forme d'un papier doré sur lequel elle écrit ou peint mais aussi comme matière, comme pigment en or qu'elle applique avec un pinceau comme n'importe quelle couleur. Cela révèle son besoin de créer de nouvelles possibilités d'expression, mais aussi son attention à l'égard de ce qui est esthétique et dont émane un éclat lumineux. L'or est une couleur dotée de reflets et de glissements obéissant à la marche de la lumière. Elle exploite bien entendu de manière optimale cette qualité, cette identité de changement soudain en fonction d'une source lumineuse.

Nous ne saurions terminer notre approche de son œuvre sans citer ses 'carnets' bibliophiles où deux sortes d'écriture se rencontrent et s'entremêlent : celle de la parole et celle des signes, du rythme visible, de la suggestion qu'essaie de déchiffrer sans la léser celui qui fournit les textes. Citons en tout dernier lieu ses portraits bien souvent réalisés d'après des photos ou des reproductions. Ils recèlent des symboles et des allusions discrètes mais significatives. Il démontrent en plus que l'intérêt principal que Vasso Tseka porte à la non-figuration et à l'allure suggestive de couleurs et de rythme n'est pas une fuite, mais une marque de son amour de la métamorphose et un reflet de sa puissance créatrice.
 
Hugo Brutin, Bruxelles
pour ARTE news
 
 
Vasso Tseka, Galerie Michel Vokaer, Chaussée de Charleroi, 169, 1060 Bruxelles, jusqu'au 22 mars 2008
Parution de la monographie du peintre Vasso Tseka dans la Collection Monographie d'artiste aux Editions Rond Point des Arts. ISBN : 2-930236-38-8
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