artistes sur ecran, œuvres
Pierre Alechinsky

artistes

Accueil

Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky
Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky
Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky
Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky Pierre Alechinsky
Rétrospective Pierre Alechinsky de A à Y
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
 
 
Je n'ai pas encore peint mon dernier mot.
Alechinsky

in : CoBrA Art expérimental 1940-1951, Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, 14 juin-15 septembre 1997, p 211.

A l'occasion des 80 ans de Pierre Alechinsky, les musées royaux, sous le commissariat d'Anne Adriaens, présentent jusque fin mars 2007 une rétrospective de l'artiste, avec lequel la collaboration fut étroite, du choix des œuvres à leur emplacement en passant par les cartels. Se demandant à quelle hauteur accrocher les tableaux, il posa la question à Daniel Abadie, qui réalisa, en 1998, une exposition Alechinsky au Jeu de Paume. Selon lui, les grands formats doivent être pris en leur centre et placés à 1m45 au-dessus du niveau du sol. Détail qui prend son importance dans l'anecdote suivante. Une des œuvres de la rétrospective, Négatif (1960), outrepasse cette norme car elle répond à Positif (1960), en regard de laquelle elle doit être considérée afin de les embrasser d'un même regard. Or la scénographie de l'exposition, place ces deux encres de telle sorte qu'on ne peut les appréhender ensemble immédiatement et justifie l'accrochage surélevé de Négatif. En clin d'œil à Daniel Abadie, invité au vernissage, Alechinsky voulu ajouter un cartel qui lui aurait été personnellement destiné : Daniel, je l'ai fait exprès ! Faute de temps, celui-ci ne pourra malheureusement que se deviner sur le mur blanc sous le tableau.

La scénographie de l'exposition est pensée selon un parcours plus labyrinthique que chronologique parmi les thèmes de son œuvre qui se répondent les uns aux autres. De la même manière qu'il aurait été inconcevable de faire l'exposition Rubens – qui se déroule simultanément aux musées - dans cet espace, l'inverse n'en est pas moins vrai. Il faut comprendre l'enchaînement particulier des pièces comme la syntaxe d'une phrase dont les toiles sont les mots, avec lesquels Alechinsky joue si habilement. L'ensemble nous raconte sous nos yeux baladés l'histoire de son œuvre. Dès le grand hall du musée, quelques œuvres parsèment le chemin qui mène jusqu'aux salles. Des escaliers, on perçoit déjà Mer Noire. A la mémoire de mon père 1892-1973 (1988-1890). Le titre attire irrésistiblement l'idée d'un gouffre profond et aspirant. Sentiment récurrent face à certaines de ses toiles. "Evoquant le vertige intérieur qui fait de l'acte de création l'expression d'une "nécessité intérieure" […]", selon la formule de Kandinsky. [cat., p 233] Le couloir qui nous guide ensuite est animé d'affiches en lithographie originale, la formation initiale de l'artiste étant l'imprimerie. Un catalogue raisonné de celles-là, intitulé Les Affiches, par Frédéric Chardon, est d'ailleurs paru cette année aux éditions Ides et Calendes. Pour le catalogue de la présente exposition, l'artiste préfère le terme de "raisonnable". Ce qui semble être un euphémisme pour l'auteur de sa propre egochrono à petite vitesse figurant dans celui-ci. Si Alechinsky est raisonné, il est peu raisonnable, ou inversement ? De même que s'il a l'art, il n'a pas toujours la manière… C'est là que l'égochrono prend tout son sens, sans être un reproche.
La scénographie correspond à la complexité de sa pensée ambidextre de gaucher contrarié. Ce que souligne à propos sa double signature agrandie sur une cimaise du musée. L'effet de miroir dans son œuvre est comparable à l'effet produit par l'imprimerie, ce "miroir d'Alice". Il est amusant de relever le fait que Micky, Madame Alechinsky, avait comme lecture, lors des dernières semaines de préparation, le dernier livre de Daniel Pennac, Chagrin d'école (2007, Gallimard). Le livre raconte précisément l'histoire du cancre gaucher que fut Pennac qui prit sa revanche en devenant instituteur, de la même manière qu'Alechinsky devint peintre.

La salle inaugurale présente des œuvres de jeunesse de la fin des années 1940. Ces toiles n'ont pas été montrées depuis 1947, lors de sa première exposition à Bruxelles chez Lou Cosyn.

La période CoBrA est volontairement écartée pour deux raisons. La première est que le cinquantième anniversaire du mouvement a lieu l'année prochaine et sera l'occasion d'une exposition aux Musées royaux. La seconde est qu'Alechinsky, s'il s'est formé au sein du groupe et a y largement contribué en créant notamment un Centre de recherches aux Ateliers du Marais à Bruxelles, a très peu peint durant ces années de rencontres effervescentes et stimulantes dont il se sustentera encore longtemps après la dissolution du groupe.

Les œuvres du début des années cinquante qui suivent, telles que Migration (1951) ou La Nuit (1952) mais surtout La Fourmilière (1954), sont comme mises en situation. L'espace où le visiteur peut se mouvoir, entre la cimaise et un muret, est volontairement restreint. Comme pour rappeler le peu de recul, même debout sur son lit, qu'Alechinsky avait lorsqu'il les a peintes dans sa mansarde parisienne. En effet, il a alors quitté à son tour le Br de CoBrA.

En 1955, après avoir rencontré Walasse Ting lors de sa première exposition personnelle à Paris, Alechinsky peint Salut ! (1955) et s'embarque pour le Japon. Le film Calligraphie japonaise (1955, Fonds Henri Stork) témoigne de l'impact de cette découverte sur sa propre technique. Lors de son voyage, il s'embarque avec La Nuit (1952) afin de la vendre sur place et de subventionner ainsi son projet filmique. La Nuit contient déjà cette aspiration de l'Extrême-Orient par la rencontre entre signe et écriture hors du champ de la couleur. Conservée à l'Ohara Museum of Art depuis, c'est la première fois que l'artiste se retrouve face à cette toile. Lui qui, souvent, apporte de nouvelles touches des années après la réalisation d'un tableau. Ainsi, Commissions et colloques (1994-2007) reçut une bordure à l'acrylique au cours de la préparation de la présente rétrospective.

Dans la salle où l'on peut voir un extrait du film précité, une autre œuvre grand format est exposée, Le Volturno (1989). A partir des dix-huit vers éponymes de Blaise Cendrars (1912), Alechinsky "tire parti de l'expérience des marges et des prédelles pour transformer le rapport au texte et la conception de l'illustration." [cat., p 230] Mélange jusqu'à la confusion entre la vision des champs de blé du Midi agités par le Mistral et la mer par laquelle son père a fuit Odessa dans les années vingt. L'analogie opère et le bateau de son père semble tanguer à la surface du blé. L'élément de l'eau, qui renvoie à l'encre, joue un rôle essentiel dans son œuvre. On le retrouve notamment dans The Mais of the Mist (1981-1991), sorte de transposition du sentiment éprouvé face aux chutes du Niagara qu'il visite vers 1975.

Un peu plus loin, Le Test du Titre, I-VI (1966) évoque son rapport aux mots si présents à travers ses titres. Sorte de jeux auxquels il soumit "61 titreurs d'élite" afin qu'ils titrent 6 de ses eaux-fortes. Pour Alechinsky, "polysémie des signes, métamorphoses des formes, variations sur le sens et jeux sur les titres favorisent les glissements perpétuels d'un sens lié à quelque divination." [cat., p 173] En effet, selon Alechinsky, "[…] offrir à une image muette un prénom, une citation, une phrase, une information, une rétention, une ironie, une tirade, un hommage, un poème ou une gifle, le titreur connaît le travail. Mais le langage dépasse la pensée, se tient en retrait, joue en dessous, s'adapte sur les côtés, tombe de haut si rarement juste sur les choses, qu'il y a peu de raisons pour qu'une image neuve se love sans avatars dans des mots qui ont déjà servi à tous. Le titre est une greffe, un nœud dans un mouchoir psychologique pour ne pas oublier de penser à …" [P. Alechinsky, Le test du titre, 6 planches et 61 titreurs d'élite, 1966-1967, Paris, Eric Losfeld, 1967. Repris in : cat., p 180] Les références à la littérature sont, elles aussi, fréquentes dans le choix de ses titres, notamment pour Alice grandit (1961), en référence à Alice au pays des merveilles (1865) de Lewis Carroll, gaucher également – et en particulier la traduction par Vladimir Nabobok. Mais aussi Astre et désastre (1969), qui emprunte son titre à Apollinaire. De plus, son trait dévoile si fort un désir d'écriture, comme le désir de peinture se ressent dans les logogrammes de Dotremont (Signification et Sinification, 1950), avec qui Alechinsky réalise des peintures à quatre mains. "Pour Pierre Alechinsky, l'écriture transcende le dessin et déborde l'espace plat de la représentation." [cat. p 148] En outre, cette écriture renvoi au rythme qui renvoi lui-même à l'improvisation du jazz qui a tant marqué les artistes CoBrA dès 1949. En 1955, Alechinsky publie à ce propos Au-delà de l'écriture, dans la revue Phases, où il compare l'improvisation de la calligraphie japonaise à celle du jazz. Des références à Ensor apparaissent également plus ou moins directement, Partant d'Ensor (1973) jusqu'au Volcan ensorcelé (1974), où le profil du baron James se dessine dans la prédelle.

Commence ensuite l'emboîtement des espaces d'exposition, ponctués – pour ne pas dire rythmés - de quelques vitrines où sont présentés des dessins, des livres, des grès et des livres en grès, Les Infeuilletables (dès 1994), en collaboration avec Hans Spinner, céramiste à la fondation Maeght. Ce n'est pas sans rappeler l'emplâtrement de Pense-Bête de Marcel Broodthaers (1964).

Au fil de l'enfilade des pièces, la technique se précise, se diversifie, s'enrichit de nouveaux éléments. Son rapport aux papiers est déterminant, leurs accidents apparaissent chez lui comme des incidences. C'est notamment le cas pour les cartes géographiques, Murs et dunes d'Aden (1983), ou ses dessins sur des factures ou plis postaux, Dans ce moment si pressé (1981). En 1965 un voyage à New York, chez Walasse Ting, oriente nettement ses travaux. C'est là qu'il peint la partie centrale de Central Park (1965) à l'acrylique. "Du spectacle printanier du parc contemplé du haut d'un immeuble voisin, Pierre Alechinsky dégage une vision picturale : vaste paysage surgi d'évidence comme un tableau toujours présent avec ses chemins sinueux, ses rochers qui font taches et ses pelouses comme de grands aplats aux reflets modulés. Le paysage tient de l'illumination. De cette topographie aérienne […] jaillit une gueule débonnaire de monstre par laquelle Pierre Alechinsky débusque l'origine mythique d'un lieu en même temps qu'il capte le tragique immémorial." [cat., p 194] Le surgissement de ce monstrueux serpent au centre de la toile rappelle aussi ce qu'Alechinsky, comme de nombreux touristes, s'est entendu dire en arrivant à New York, "Don't cross Central Park by night !" Dans ses Sauvenotes (1977, Yves Rivière) Pierre Alechinsky décrit sa vue personnelle de Central Park : "En bas, un monstre attendait, tapi dans la topographie du parc. Méandres de Cobra ? Anamorphose ? Terrible avec sa perruque en fouillis d'arbres, son profil dessiné par la découpe des chemins, joues glabres coloriées en vrai. […] Revenir à ce poste d'observation – avec un pinceau chargé d'encre jusqu'à la gueule." [cité in : cat., p 195]
Dès ce voyage, il délaisse progressivement la peinture à l'huile pour l'acrylique sur papier marouflé sur toile. La souplesse de l'acrylique, que lui fait découvrir Ting, correspond mieux à la fluidité et à la rapidité qu'exige le geste de son pinceau. C'est à cette époque encore, qu'il commence à peindre "à la chinoise", c'est-à-dire à même le sol. Mais cette œuvre est principalement connue comme étant la première où apparaissent des remarques marginales. Il explique comment l'idée lui vint à son retour en France : "[…] pendant plusieurs soirées, en regardant cette image, je me suis mis à dessiner au pinceau et à l'encre de Chine sur des bandes de papier Japon, comme ça, pour le plaisir, mais tout en pensant aux mythologies citadines que ce parc "ventral" de New York suscitait. Puis, pour voir ce que cela donnerait, je les ai fixées à la périphérie du rectangle très coloré peint à New York. Ca fonctionnait étrangement, les remarques marginales (terme emprunté à l'estampe) en noir et blanc entourant la zone colorée du centre retenant les yeux de celui qui passe devant le tableau." [P. Alechinsky, "L'autre main" [1988], Des deux mains, Paris, Mercure de France, 2004. Cité in : cat., p 195] Sorte de garde-fous en lisière de l'image centrale jaillissante, qui en dédouble la lecture immédiate et donc la prolonge, ces remarques marquent aussi la frontière entre deux mondes qu'elles isolent. Utilisées en encadrement ou en prédelle, les remarques sont à leur tour encadrées par la couleur, dès 1982, inversant la méthode et perturbant ainsi "l'évidence du centre" [cat., p 194] pour renvoyer à la notion de vide central de Mallarmé, comme le suggère Michel Draguet dans le catalogue de la rétrospective. C'est notamment le cas pour Le Chien roi (1982) et De toutes parts (1982).

Vers 1985, l'estampage des tampons de regard ou bouches de métro entre dans son vocabulaire formel. La réversibilité de l'empreinte, apparaissant ainsi en négatif, lui vient des frottages de Max Ernst. Il en prélève les formes concentriques à l'encre de chine dans les «pièces mobilier urbain". Autre élément coutumier de son vocabulaire, dès les années soixante, est le monticule avec les volcans et terrils (Terril III, 2005), qui évoquent eux aussi le surgissement et le jaillissement.

Enfin, en clôture de l'exposition, vient Rein comme si de rien (2007) en hommage à Reinhoud (1928-2007) et dont l'emplacement invite le visiteur à descendre dans les salles inférieures du musée où sont conservées des œuvres du sculpteur.

La rétrospective d'Alechinsky témoigne de la force de dialogue et d'entrelacs omniprésents entre les différents thèmes qu'il aborde, qui débordent des remarques marginales, et sur lesquels il revient sans cesse par d'infinis recoupements, créant un réseau de sens complexe et cohérent, tout autant que ludique pour celui qui serait tenté de ne pas rester à la surface mais bien de plonger dans ses profondeurs.
 
JB, Bruxelles, décembre 2007
 
 
 
Alechinsky. Musée royaux des Beaux-Arts de Belgique, Musée Art moderne, du 23 novembre 2007 au 30 mars 2008
Rue de la Régence 3, 1000 Bruxelles, tél : + 32.2/508.32.11
, www.fine-arts-museum.be
Ouvert de 10 h à 17 h.
haut de page