Le Grand monde d'Andy Warhol
Andy Warhol
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Andy Warhol

Andy Warhol, Autoportrait, 1986, acrylique et encre sérigraphique sur toile, The Andy warhol Museum
Pittsburgh © 2009 Andy Warhol Foundation for the visuals arts inc. / Adagp, Paris, 2009

 
 
 
"Andy warhol looks a scream
 Hang him on my wall
 Andy warhol, silver screen
 Cant tell them apart at all"
 
David Bowie, Andy Warhol (in Hunky Dory, 1971)
 
Andy Warhol est-il l'un des portraitistes les plus importants du XXe siècle ? La rétrospective consacrée à cette production du "pape du pop" tendrait à le faire croire. Face à une société obsédée par le pouvoir, le prestige et l'argent, Warhol a su créé des images capables d'illustrer ces désirs sans en nier les travers ou l'ambiguïté. Amis proches ou simples commanditaires, ses modèles deviennent les icônes d'une époque qui se veut éternelle : sa propre figure n'y échappe pas, jusqu'au dernier autoportrait où un Warhol à la chevelure agitée et au regard fixe semble incarner le démiurge halluciné, forcément hanté par une fièvre créatrice…Primat de l'ego, palette fauve et travail de série forment la Sainte Trinité d'une œuvre qui, à elle seule, témoigne de l'individualisme peu orthodoxe de la société post-moderne. Si Dieu est mort, le culte des images n'a jamais été aussi vivant entre les mains de Warhol.
D'idoles, il en est amplement question, pas seulement parce que Warhol décline par dizaines la Joconde ou Marylin. En 1963, la collectionneuse new-yorkaise Ethel Scull lui passe sa première commande de portrait ; dès ce moment, l'artiste multiplie les variations sur le moi grâce à la sérigraphie. Outre une facilité de reproduction, cette technique offre un fini impeccable ; mais la fidélité photographique s'arrête quand l'artiste intervient à grands coups de couleurs contrastées, entraînant un dynamisme de l'image fixe. Subjective, la couleur l'est autant par ses valeurs optiques outrées, que par le jugement porté par l'artiste sur le portraituré; ainsi la distance entre la palette et le chromatisme naturaliste se confond avec celle entre Warhol et son modèle. Cette action picturale prend des significations très variables, selon le personnage représenté. Ces grands aplats de couleur, témoignage parmi tant d'autres de l'héritage de Matisse dans la peinture américaine, renforcent la présence impressionnante de Nixon ou Mao, non sans une violence latente. Dans le cas du dirigeant chinois, les multiples représentations osent même le format monumental : cette déclinaison singe peut-être le fonctionnement de l'imagerie politique dans le régime communiste, omniprésente et formatée. Cependant, comme avec les bouteilles de coca ou les boîtes de soupe Campbell, Warhol fait du grand timonier une sorte de repère pour la société de masse, vision désinvolte, pleine d'ironie, comme en écho aux critiques marxistes du consumérisme et à l'action dictatoriale de Mao.

Moins polémiques mais tout aussi complexes, les portraits de la "bonne société" questionnent les individus dans leurs apparences et leurs ambitions. Ingres des Trente Glorieuses, Warhol devient le portraitiste attitré des beautiful people, dans un rapport privilégié où l'intérêt financier rencontre une fascination pour le gratin. Andy n'est jamais dupe et, même confronté au charme sophistiqué de la Baronne von Thyssen ou Jane Holzer, révèle les limites de l'apparence : cet érotisme glacé, à grand renfort de maquillage et de pose affectée, n'est qu'artificialité et éphémère. L'intérêt pour la réalité dépasse la simple flatterie ; les coups de brosse, bariolés ou uniformes, suggèrent une dimension psychologique non transmise par le visage. Cette activité mondaine se poursuit sur les couvertures d'Interview Magazine, et sa galerie aseptisée de personnalités du show business, caricaturales à force d'idéalisation chic et d'attitude choc. La retouche est parfaitement assumée et revendiquée par Warhol, retravaillant avec soin ses images de Debbie Harry : se dégage de la chanteuse de Blondie une indéniable beauté, quoique trop lisse pour être vraie, à la manière des effigies de Bronzino. Idem pour Bardot, et sa chevelure voluptueuse encadrant yeux doux et bouche gourmande, dans une mise en page où la symétrie sacrifie le naturel pour exalter une plastique hors norme. Même lorsqu'il s'agit d'hommes aussi sulfureux que Mick Jagger et Sylvester Stallone, Warhol leur insuffle une certaine grâce féminine_ le leader des Stones s'affiche avec un homoérotisme digne de Caravage, et le regard de l'interprète de Rambo dévoile une fragilité insoupçonnée.

On ne saurait, en effet, trop négliger la charge psychologique de certains portraits de proches. Le regard se fait franc et direct, la pose approche le naturel et parfois même un sourire s'esquisse au milieu de ces toiles toujours aussi bigarrées. La couleur a beau prendre les mêmes tonalités voyantes et crues que pour les effigies de célébrités, elle se mue presque en commentaire élogieux sur les personnalités artistiques : la confiance sereine en orangés de Georgia O'Keefe, le vert et rose seyant à David Hockney, ou l'insaisissable Joseph Beuys fondu dans un camouflage militaire. Warhol renoue avec l'esthétisme glacé des mondanités pour les hommes de pouvoir, politiques ou financiers, comme saisis dans l'action. Le halo qui entoure Willy Brandt paraît être l'impression sur la toile du mouvement même de son corps et de sa pensée. A contrario, Warhol excelle dans la pose immobile pour la fadeur de la princesse Diana, ou l'inquiétant Lénine, réduit au rouge et noir tel un grand diable.

Il faut avouer que la galerie huppée, à force de répétition, frise l'exaspération. S'il s'adapte à chaque modèle, Warhol reprend peu ou prou la même formule, qui lui assure forcément succès et fortune ! Cet ancien publicitaire n'a jamais caché l'aspect commercial de son œuvre, au risque d'agacer les pourfendeurs d'une "désacralisation" de l'art. Que l'on se rassure, ce grand monde se clôt sur deux thématiques plutôt étonnantes chez ce chantre du "vide et stupide Hollywood", dixit l'intéressé : la religion et la mort. Selon le commissaire de l'exposition, la frénésie du portrait vient probablement d'une enfance nourrie de culture chrétienne, entre autre par la fréquentation d'églises orthodoxes remplies d'icônes. Quelle que soit la validité de cette thèse, rien ne l'infirme dans Raphael Madonna - $ 6,99, détournement plus ou moins irrévérencieux de la Madone Sixtine : à la critique d'une diffusion excessive de l'œuvre originale dont peu à peu se perd le sens originel (comme le démontrèrent si bien Walter Benjamin et Daniel Arasse), se juxtapose la glorification de la Vierge à l'Enfant, dupliquée pour prendre la place des fameux anges rêveurs. Comme Caravage et Rembrandt avant lui, Warhol s'intéresse au motif de la mère à l'enfant avec une tendresse dans la relation qui touche au sacré, en s'abstenant de tout discours dogmatique. Faut-il relier à cette révérence pour la maternité le portrait de Julia Warhola ? L'artiste peint sa mère deux ans après sa disparition, pour fixer son souvenir flou et présent dans une image qui ne l'est pas moins.

Cette appréhension de la mort prend une force inouïe dans deux œuvres inquiétantes car sans visage humain coutumier, où se conjure le sentiment morbide par sa simple évocation : vision abrupte de la peine capitale, Big Electric Chair s'inscrit dans la même optique qu'Accidents ou Émeutes, par sa violence chromatique qui exacerbe l'élément redouté. En concevant Skull sur quatre panneaux au même motif mais aux coloris changeants, Warhol reprend la mise en page de ses portraits les plus clinquants. Bien sûr, il n'est plus question de superflu et de glamour ; dans la représentation brutale d'un crâne prêt à mordre ou à rire, se profile une ombre où d'aucuns verront une silhouette enfantine. Héritier des vanités hollandaises du Siècle d'or, Warhol fait aussi de la mort une icône, effroyable cette fois : son art peut capter amour, gloire et beauté comme les fatalités du destin, pour former le reflet d'un spectacle grinçant du monde. Derrière les modes factices et les procédés lucratifs, Warhol fait de l‘image une obsession, qui dépasse le "quart d'heure de célébrité"…
 
Benjamin Couilleaux
Paris, juin 2009
 
 
Le Grand monde d'Andy Warhol, Galeries nationales du Grand Palais,
3, avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris, du 18 mars au 13 juillet 2009.
www.rmn.fr/Le-grand-monde-d-Andy-Warhol

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