LE MAGAZINE
d'ExpoRevue


Propos sur la Biennale d’Art Contemporain, Venise 1999.



Tout d’abord une faible présence des arts plastiques " traditionnels " ; j’entends par ce qualificatif non l’aspect de ce qui est présenté mais l’engagement et la conviction : en somme la simple force du beau. Autour on assiste à un véritable éclatement, à une interrogation sur les différents processus de la perception liés aux nouveaux matériaux et aux nouvelles technologies. Depuis que l’art a cessé de servir le pouvoir et l’église, on constate une errance des intentions qui semble engager une véritable renaissance. L’art n’impose pas sa beauté évidente et glorieuse, il caresse, agresse, fait appel à la mémoire. Il en ressort des parcours solitaires et des propos ténus. Nous sommes sans cesse confrontés au problème du tout et du rien. Est-ce de l’Art, une bonne idée, ou une attraction ? Quelle différence ? L’intention et la finalité. " Mettre en mouvement la pensée vers une clarification ". Peut-être est-ce là l’acte le plus généreux qu’offre l’artiste à l’homme : son propre regard sur les choses.

 

Ricardo Pascuale, Ita Apu'a, 1995
wooden and fabric construction, 102x101x16


Pascuale, Ita Apu'a

 

A la manière d’une exposition universelle des pavillons portant l’enseigne d’un pays présentent leurs artistes. Toutes les questions sont posées, on redécouvre même l’interrogation première : l’Art est-il le propre de l’homme ? (Pavillon russe). Depuis les impressionnistes où déjà l’on avait fait peindre un âne pour les ridiculiser, cette bien maigre question fait débat. Cela pose le simple problème de l’apparence, mais l’apparence n’est pas l’intention et la finalité. Vouloir faire de l’animal l’artiste ne peut être que de notre fait. L’animal est, l’homme organise des dispositifs. Cela montre-t-il les symptômes d’un pays en crise où l’art ne sert plus le pouvoir depuis peu, où bien des repères ont disparu ?

 

Zhang Huan, Performance,1995
c-print, Fuji paper, 114x165
To add one meter to an unknown mountain


Huan, Performance

 

L’Art éphémère (Pavillon suisse) contredit la notion d’art intemporel. Tel l’insecte qui s’élabore en secret pour ne vivre qu’un jour. L’artiste organise longuement la fracture de l’instant pour révéler la notion de risque, de non-repentir, tout en jouant avec les lois de la physique. Face à cette extrême urgence s’installe un art du silence, de la méditation, de la respiration, souvent très inspiré de la nature, que ce soit le scintillement de la voûte céleste (Japon), l’apparition de formes givrées et fantomatiques (Belgique). Parfois même aux limites de l’art visuel des arbustes sont plongés dans la pénombre pour mieux laisser remonter les souvenirs liés aux odeurs de l’humus (Scandinavie) ; comme si de voir empêche de respirer.

 

Huang Yong Ping, Colonnes, 1999
Watercolour, Photography
Projet pour le pavillon Français de la Biennale de Venise


Ping, Colonnes

 

Cette pensée me rappelle une installation d’Erik Dietmann, vue au Centre Pompidou. Elle présentait une suite de fort grands nez sculptés dans toutes les matières qu’il nous soit permis d’imaginer dominant un alignement de tonneaux. Comme si de voir beaucoup, car la chose était vraiment prégnante, empêchait de sentir. Paradoxalement, ce travail à la gloire du nez et du vin ne sentait rien. Comme quoi sentir fait appel à la mémoire, et se souvenir conduit le regard vers l’intérieur de soi. Toujours dans cette réflexion sur la notion de respiration, ce tableau (Islande) montrant l’évocation stylisée d’une plate-forme en suspension au-dessus d’un sol. Par ce dispositif, pourtant peint et réellement statique, nous avons le sentiment d’une " respiration visuelle ". Cette même impression que nous ressentons confronté à un mobile de Calder. Quand le degré de perception du déplacement est si subtil qu’il nous est impossible de déterminer si la chose est fixe ou mobile.

 

Sigurdur Arni Sigurdsson, untitled 99
oil on canvas, 200x224


Sigurdsson, untitled

   

Manolo Valdes, reloj, 1998
oil on canvas, 176x220


Valdes, reloj

 

Face à cette fragilité, la peinture ou la sculpture d’un Manolo Valdès (Espagne) apparaît énorme et forte par son intention. Comme si l’artiste devait à lui seul supporter le poids de la continuité d’un Picasso ou d’un Matisse, assumer l’héritage de la plasticité. L’Art fait-il peur ou l’Art a-t-il peur de ne pas exister suffisamment pour se gonfler démesurément ? Tels les éléphants blancs de Babylone du film de Griffith, les rats noirs (Italie) dressés sur leurs pattes arrière et disposés en couronne pour occuper tout l’espace, menacent le visiteur. La salle semble atteindre ses limites de capacité en accueillant de pareils volumes. On dit parfois que l’art, par l’illusion, peu repousser les murs, avec les installations des deux artistes français la rupture s’opère. Pendant que l’un traverse la verrière en projetant à l’extérieur des animaux fantasmagoriques au sommet des mâts gigantesques, l’autre détruit le sol, le désintègre. Si avec les rats l’espace semblait comprimé, à l’opposé nous pouvons parler maintenant d’expansion. Faut-il voir une forme d’émancipation de l’art qui voudrait sortir de son cadre muséal ?

 

Katharina Fritsch, Rat King, 1992-1993
iron, polyester, paint, Height 280


Fritsch, Rat

 

A la lumière de toutes ces directions parcourues, de toutes ces voies ouvertes dans les mécanismes de la perception du visuel, sacrifiant parfois l’aventure plastique au profit d’une certaine fabrication dominée par l’accumulation et la répétition, les œuvres tentent d’accéder à l’essence des choses et nous révèlent un vaste mouvement d’introspection de l’art.

Jean-François Courteaux

Errance des


intentions














L’intention et


la finalité














Problème de


l’apparence














Fracture de


l’instant














L’intérieur


de soi














Respiration visuelle














L’héritage


de la plasticité













Forme d’émancipation













L’introspection


de l’art
 

Biennale d’Art Contemporain 1999, Venesia, Italia.

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