Tamara Kostianovski
ArtParis 2025

Tamara Kostianovski

Tamara Kostianovski

De la chair à l'Histoire : quand le corps devient mémoire

Galerie RX&SLAG : Suspendue au plafond, la carcasse de Quater with Tropicalia (2022) frappe d'emblée.

Ni tout à fait sculpture, ni tout à fait souvenir, elle oscille entre installation organique et exorcisme poétique. L'artiste y plonge dans l'enfance : celle vécue dans une Argentine encore marquée par l'écho colonial, celle façonnée par la présence d'un père chirurgien esthétique, entre gestes précis et chair mise à nu.

Cette forme hybride conçue à partir de matériaux recyclés, convoque autant les étals sanglants des marchés populaires que la froideur clinique des blocs opératoires. Une autobiographie en suspension, où le corps — morcelé, exposé, reconstitué — devient le lieu de toutes les interrogations : qu'est-ce qu'un corps hérité ? Un corps consommé ? Un corps exotisé ?

Ce traitement de la chair n'est pas sans me rappeler une autre vision, tout aussi dérangeante et fascinante : celle de Rembrandt dans Le Bœuf écorché (1655).
Là encore, la dépouille suspendue dépasse la simple représentation anatomique. Elle devient vanité inversée, contemplation silencieuse de la vulnérabilité humaine. Chez Rembrandt, la carcasse s'offre comme un crucifix païen, une méditation sur le destin de la chair — sacrée et profane.

Le parallèle est saisissant : deux artistes, deux époques, un même choix de la suspension comme dispositif. Mais là où Rembrandt peint la chair comme destinée, l'artiste contemporaine la déconstruit comme construction sociale, politique et familiale. Elle l'inscrit dans un réseau complexe de souvenirs, de dominations et de résistances.

Dans les deux cas, le corps n'est pas seulement motif : il est mémoire incarnée, lieu de tension, révélateur d'un monde. L'un peint la chair de l'humanité avec une lumière biblique ; l'autre la recompose à partir de fragments recyclés de son histoire intime et de celle de son pays. Tous deux invitent à voir autrement — à travers la matière crue — les failles, les fictions, les filiations.

From Flesh to History: When the Body Becomes Memory

Galerie RX&SLAG – Hanging from the ceiling, the carcass of Quarter with Tropicalia (2022) instantly commands attention.

Neither a pure sculpture nor a mere recollection, it oscillates between organic installation and poetic exorcism. The artist delves into childhood — one lived in an Argentina still haunted by colonial echoes, shaped by the silent presence of a father who was a plastic surgeon, where precise gestures met exposed flesh. This hybrid form, crafted from recycled materials, evokes both the bloodied stalls of Buenos Aires street markets and the clinical coldness of operating rooms. A suspended autobiography, where the fragmented, exposed, reconstructed body becomes a space of questioning:
What is an inherited body? A consumed body? An exoticized body?

This approach to flesh is not without echo. It brings to my mind another unsettling and captivating vision: Rembrandt’s The Slaughtered Ox (1655). Here too, the suspended carcass transcends mere anatomical representation. It becomes an inverted vanitas, a silent contemplation of human vulnerability. In Rembrandt’s work, the carcass hangs like a pagan crucifix — a meditation on the fate of flesh, both sacred and profane.

The parallel is striking: two artists, two eras, the same choice of suspension as a visual device. But where Rembrandt paints flesh as destiny, the contemporary artist deconstructs it as a social, political, and familial construct. She weaves it into a complex web of memories, domination, and resistance. In both cases, the body is not just a motif: it is embodied memory, a site of tension, a revealer of worlds.

One paints the flesh of humanity with biblical light; the other reassembles it from the recycled fragments of her intimate and national history.
Both invite us to look anew - through raw matter - at our fractures, our fictions, our inheritances.
 
 
Edith Herlemont - Lassiat
Paris, avril 2025
 
De la carne a la Historia: cuando el cuerpo se convierte en memoria

Galerie RX&SLAG – Suspendida del techo, la carcasa de Quarter with Tropicalia (2022) impacta de inmediato.

Ni escultura en sentido estricto, ni simple recuerdo, oscila entre instalación orgánica y exorcismo poético. La artista se adentra en su infancia — una vivida en una Argentina aún marcada por los ecos del colonialismo, moldeada por la figura silenciosa de un padre cirujano estético, donde los gestos precisos convivían con la carne expuesta.

Esta forma híbrida, creada con materiales reciclados, convoca tanto los puestos sangrientos de los mercados populares como la frialdad clínica de los quirófanos. Una autobiografía suspendida, donde el cuerpo — fragmentado, expuesto, reconstruido — se convierte en un espacio de interrogación:
¿Qué es un cuerpo heredado? ¿Un cuerpo consumido? ¿Un cuerpo exotizado?

Este tratamiento de la carne no deja de recordar otra visión, igualmente perturbadora y fascinante: el Buey desollado de Rembrandt (1655). También aquí, el cadáver suspendido va más allá de la mera representación anatómica. Se convierte en una vanitas invertida, contemplación silenciosa de la vulnerabilidad humana. En la obra de Rembrandt, la carcasa se ofrece como un crucifijo pagano — meditación sobre el destino de la carne, sagrada y profana a la vez.

El paralelismo resulta revelador: dos artistas, dos épocas, un mismo gesto de suspensión como recurso. Pero mientras Rembrandt pinta la carne como destino, la artista contemporánea la deconstruye como construcción social, política y familiar. La inscribe en una red compleja de recuerdos, dominaciones y resistencias.

En ambos casos, el cuerpo no es solo un motivo: es memoria encarnada, territorio de tensión, revelador de un mundo.
Uno pinta la carne de la humanidad con luz bíblica; la otra la recompone a partir de fragmentos reciclados de su historia íntima y nacional. Ambos nos invitan a mirar de nuevo — a través de la materia cruda — nuestras grietas, nuestras ficciones, nuestras filiaciones.

Tamara Kostianovski

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