La scène d'art taïwanaise
dans les yeux d'un visiteur européen
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Kijong Zin, National Geographic, installation, 2007
art taïwanais, courtoisie de National Taiwan Museum of Fine Arts

 
 
 
 
Pour le visiteur qui essaie de naviguer à travers Taipei, il est pour plusieurs raisons difficile de s'y retrouver - même hors saison des typhons, et même pour ceux qui maîtrisent la langue chinoise suffisamment pour savoir interpréter la tempête toujours présente de panneaux publicitaires et de circulation. On peut se demander si ce phare de l'Asie Sud-est qui abrite des nombreux musées et galeries propose une illusion plus constructive de structures spécifiquement locales. Si l'on trouve la question significative, on a raison de faire attention au développement de l'Asian Art Biennial au National Taiwan Museum of Fine Arts. Cette année, la biennale a eu lieu pour la deuxième fois, sous le titre Viewpoints and Viewing Points.

Une capitale d'art meublée

D'aventureuses promenades dans la vie artistique de la capitale en février 2010 confirment, si rien d'autre, l'impression d'être dans un pays qui, depuis les années 90, est l'un des moteurs principaux du boum économique régional. Parfois, cela se passe de manière plutôt étonnante, comme le moment où ce que l'on croit être la blague de la part d'un curateur - l'obligation de tout magasin de mobilier décent d'exposer une œuvre de Damien Hirst au-dessus du canapé - se dévoile comme un fait brut. Au moins, c'est ce qui a été le cas dans le voisinage chic de Dunhua South, où l'on trouve quelques-unes des plus célèbres galeries, et où la distinction des genres peut-être la plus notable est l'obligation d'être accompagné par un guide dans le magasin de mobilier, tandis que le visiteur peut se promener librement dans les galeries. Sous un toit plus haut et plus fraichement inspirant, le musée est aussi devenu intérieurement - ou plus précisément peut-être, extérieurement - meublé, dans l'exposition Hanging Out in the Museum par Cai Guo-Qiang au Taipei Museum of Fine Arts, qui consiste à proposer un bain à remous extérieur où le visiteur peut prendre rendez-vous avec un autre visiteur (inconnu), pour une causette sous les yeux des spectateurs qui prennent passionnément des photos. Une autre exposition à grande échelle est l'Animamix Biennial qui se déplace entre le Taipei Museum of Contemporary Art et trois autres institutions chinoises importantes d'art contemporain simultanément. Des galeries non-commerciales et d'une orientation locale/politique existent aussi ; pourtant, elles sont remarquablement bien cachées dans la jungle d'expositions tournées vers un marché d'art international et riche. Main Trend Gallery est une des exceptions. Ici, on trouve l'exposition de l'artiste Chen Chieh-Jen qui a fait partie du pavillon taïwanais dans la dernière Biennale de Venise. Dans le film Empire's Borders, il fait de la lumière sur un phénomène négligé mais bien connu : les obstacles que le gouvernement oppose aux personnes qui font une demande de résidence permanente à Taïwan, étant nées et élevées en Chine continentale, mais qui ont vécu pendant beaucoup d'années à Taïwan et qui s'y sont souvent mariées.

L'émergence d'une scène d'art

Si vous demandez aux hommes et femmes d'affaires du secteur d'art local de vous expliquer les impressions éclectiques données par la scène d'art taïwanaise d'aujourd'hui, certains vont répondre qu'elles sont l'expression du développement culturel et politique, long et complexe, du pays depuis le retrait du pouvoir colonial japonais en 1945. En effet, l'héritage japonais difficile, le règne de la Chine continentale depuis l'imposition du gouvernement en exil de Chiang Kai-Shek à Taïwan, soumis à l'influence très forte de la culture américaine, privèrent graduellement un grand nombre de personnes de l'expérience d'appartenir à un pays. Selon Shu-Ping Huang, directrice adjointe de Sakshi Gallery, une autre conséquence fut la division des artistes taïwanais en deux groupes principaux : l'un “nativiste”, l'autre basé sur les formes occidentales, peut-être avant tout l'expressionisme abstrait, et avec une orientation fortement globale. La première vague de nativisme, prolifique pendant les années 70 et faisant partie d'un mouvement oppositionnel plus large, se tourna de manière nostalgique vers la culture taïwanaise du passé. Beaucoup de ces artistes focalisèrent le taïwanais à travers le réalisme occidental et le photo-réalisme, tandis qu'un petit nombre employèrent aussi des expressions artistiques antérieures et folkloriques. Madame Huang explique que pendant les années 80, beaucoup d'artistes qui étaient ailleurs pendant les années 70 revinrent des États-Unis et d'Europe, rapportant des tendances esthétiques nouvelles. Ces artistes formèrent les nouvelles grandes institutions d'art des années 80 et 90, comme le National Taïwan Museum of Fine Arts et le Museum of Contemporary Art Taipei. Sous leur influence des formes nouvelles de nativisme émergèrent aussi, mais la quête d'une identité taïwanaise passa de plus en plus par la lutte pour l'autonomie économique envers la Chine. Elle perdit aussi beaucoup de fondement ainsi que le ton nostalgique des années 70, et devint un projet moins évident. Le manque d'une langue et d'une compréhension communes entre les artistes, par contre, devint de plus en plus visible, et culmina pendant les années 90 dans une division complète entre d'un côté les "internationaux" et de l'autre les politiquement orientés, géographiquement noués - très évidente sur la scène d'art taïwanaise d'aujourd'hui.
Considérant ce développement historique d'un nativisme de plus en plus déraciné, et d'autre part de l'internationalisme, l'établissement de l'Asian Art Biennial au musée national de l'art à Taichung paraît bien situé. Selon le programme officiel, l'objectif de la biennale est d'offrir un échantillon de la multitude de perspectives qui définissent la réalité contemporaine et l'art dans la région asiatique, en même temps que cette multitude, à son tour, transforme et enrichit les différentes perspectives culturelles de l'Asie. 144 œuvres par 56 artistes de 20 pays sont exposées. Une partie des œuvres s'adresse non seulement à des perspectives singulières, mais aussi à des idées provenant de et parlant de la région. L'artiste Indo-Éthiopienne Sheba Chhachhi est un bon exemple. Dans son installation Winged Pilgrims elle mélange des éléments de sculpture indienne, peinture chinoise, miniature perse et de photographie documentaire, employant des techniques pré-cinématographiques pour la représentation du mouvement.

Plasma action globalisée

Sur les murs d'une salle ressemblant à une cave, des bandes photographiques transparentes avec des images d'oiseaux et d'instruments de musique défilent horizontalement sur le fond de boites lumineuses, représentant des paysages imaginaires. Au fond de la salle on trouve une estrade avec des robes de pèlerins bouddhistes en position assise, avec une télévision-jouet "Plasma Action" sur leurs genoux. A première vue, l'installation semble être une expérience technique anachronique au service d'idées simples, sinon banales, où des oiseaux et des pèlerins se métaphorisent réciproquement. Une contemplation patiente permet de concevoir l'installation comme une représentation onirique des relations transformatives entre symboles, idées et objets qui dans l'histoire voyagèrent à travers le continent asiatique, sollicitant peut-être une compréhension plus dynamique des actes de globalisation : les oiseaux, les pèlerins et les télévisions "Plasma Action" sont des extrémités historiques du même mouvement globalisant, paradoxalement matérialisés en une marchandise de grande distribution et en même temps comme un symbole du consommateur/ spectateur cosmopolite, moderne – un produit qui, ironiquement, présente des imitations d'images mobiles.

La nuit métropolitaine et ses médias

La relation entre le local et le global est, on le comprend, un thème récurrent dans cette biennale. Certains artistes traitent de ce thème de manière satirique ou en critique médiatique, comme l'installation presque puérilement amusante "National Geographic" par l'artiste coréen Kijong Zin, une boite "aquarium" contenant des modèles de plantes et d'animaux, déplacés par un appareil motorisé simple, filmés, puis télévisés sur des écrans dans une autre salle. Beaucoup d'artistes utilisent aussi la métropole comme leur laboratoire, et certains explorent les environnements et technologies urbains comme une langue à son propre droit. L'animation "Night Lives" par l'artiste taïwanais Lee Wen-Cheng est une boucle poétique où une cité imaginaire s'éveille au soir avec ses signes de lumière, et retourne au sommeil le matin. La vie métropolitaine paraît se révéler ici comme une existence artificielle et inhumaine, où les lumières et les signes néons des bâtiments sont les seuls signes de vie visibles, quelquefois en forme de fleurs dansantes, d'autres fois en formes de robots comme dans un cauchemar infini – mis à répétition avec l'accompagnement de la bande sonore composée par l'artiste lui-même. Cette œuvre d'art semble devenir une stratégie de survie, où son propre statut de rêve ou fantaisie privée retentit de l'absence de relations humaines significatives dans la ville. Dans "Propagation of Electric Current" par le japonais Takehito Koganezawa, la lumière électrique, dans un sens plus pure, devient l'objet d'examen. L'artiste a monté 220 tuyaux lumineux parallèlement en 11 colonnes sur un mur massif, sans écriture. L'installation est une séquence répétée qui va du noir à l'illumination totale, et qui dure environ 30 secondes. Ce commencement retardé, où des tuyaux sont allumés en ordre croissant avec un fredonnement distinct, produit un développement monumental et subtilement suggestif. La nature propre à la lumière en ressort comme phénomène énigmatique, évoquant des perceptions et des définitions différentes selon les étapes d'avancement de la séquence. Littéralement, les lumières néon réverbèrent une signification d'une ambiguité basique mais bouleversante, entre signal, métaphore, objet de perception, motif existentiel, phénomène physique neutre et forme abstraite, audio-visuelle. Avant que l'on n'arrive à questionner la localité des frontières entre ces différentes Òdéfinitions, on est catégoriquement étourdi par la magie lumineuse de Koganezawa.

La localité désespérée du manque de visage

L'urbanité à l'époque de la globalisation est mise dans une lumière à la fois monumentale et politique par l'artiste canadien-pakistanais Rashid Rana. Son installation "Desperately Seeking Paradise" est un cube d'acier massif de trois mètres carrés;, totalement couvert d'une matrice en relief oblique sur les murs, et à l'intérieur de laquelle des épreuves photographiques sont montées. En conséquence, le cube donne une impression complètement différente selon la position du spectateur dans la salle : d'un angle les murs deviennent surfaces brillantes, d'un autre ils représentent un paysage urbain de gratte-ciel. Quand on approche le cube, on voit que le motif est construit avec un collage de photographies de ce qui parait être des quartiers pauvres et des lieux de déconstruction – le genre de lieux urbains qui souvent accueillent les victimes de la globalisation économique, mais qui sont aussi souvent démolis pour préparer la route à la croissance de l'architecture de la capitale urbaine. A la lumière de sa forme et de son titre à la fois, le cube pourrait même faire allusion au Kaaba de Mécha, qui fut bâti sur la pierre blanche qui, dit-on, vint du paradis avant d'être noircie par les pêchés humains. D'une manière ironique l'installation paraît unir le désespoir des victimes de la globalisation et de ses élites régnantes simultanément ; ici aussi bien littéralement que métaphoriquement une dualité indigène à l'architecture urbaine elle-même. Dans l‘oeuvre Amrao Manush – "nous aussi sommes des êtres humains" – le photographe bangladais Shehab Uddin documente le nombre croissant de personnes qui ont été forcées de quitter la campagne (comme Uddin lui-même en 1990) à cause de débordements d'eau, de dettes, ou d'autres déd;sastres, pour mener une vie sans maison et identité dans la capitale Dhaka. Ceux-ci sont les plus vulnérables du pays, explique Uddin, manquant des droits de l'homme fondamentaux, et complètement ignorés par le système social et économique. Le manque d'identité prend encore un visage dans "Synonym" par l'artiste Indien Reena Saini Kallat. Au loin l'oeuvre paraît être des panneaux d'images librement distribuées dans la salle, exposant des portraits, mais de plus près on découvre qu'elles sont construites par des tampons caoutchouc colorés. Ces tampons portent les noms de personnes qui sont officiellement enregistrées comme disparues de régions indiennes différentes, soit comme résultat de catastrophes naturelles, d'enlèvements ou d'autres causes. Vus de derrière, les tampons des personnes disparues ont l'air de s'être presque consciemment assemblés pour former des silhouettes humaines. Vue des deux côtés, l'oeuvre de Saini Kallat rend leur absence fortement présente.

Quo vadis, Taïwan ?

Conscient des limitations dues à la trop grande ampleur d'une telle bienniale, le National Taiwan Museum of Fine Arts a construit avec succès un phare à partir duquel une petite collection de points de vue régionaux peuvent se redéfinir, d'une manière fragmentée. Les yeux du spectateur pourraient même s'étendre plus loin d'ici qu'à partir de l'étage le plus élevé du bâtiment Taipei 101. Pourtant, à la confusion d'un étranger, la sélection d'artistes taïwanais à la biennale semble représenter un regard trop distant – la majorité des artistes s'orientent vers l'agenda des tendances esthétiques internationales, sinon l'école traditionnelle de l'expressionisme abstrait avec une empreinte locale. Ce que l'exposition, ironiquement, semble manquer (au moins si elle voudrait battre les galeries branchées de Taipei d'une manière alternative), est une variation plus grande d'artistes locaux et de points de vue, capable de refléter le climat politique, social et culturel à Taïwan, et les conditions paradoxales de production d'art dans cette petite garnison vers l'océan Pacifique. Enfin et surtout, une telle procédure aurait peut-être pu fonder un dialogue plus productif avec les collègues du continent. Pourtant, l'humble mais optimiste et peut-être, on l'espère, vrai point de vue de ce visiteur, est que l'ensemble de l'Asian Art Biennial représente un intérieur nouveau sur la scène d'art taïwanaise, qui à l'avenir devrait se montrer capable de fournir des possibilités de croissance améliorées, même pour un art local.
 
Paal Andreas Bøe
Taïwan, septembre 2010
 
 
National Taiwan Museum of Fine Arts

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