Serigne Ibrahima Dieye
Jungle Noire
Serigne Ibrahima Dieye
Serigne Ibrahima Dieye
Serigne Ibrahima Dieye
Serigne Ibrahima Dieye
Serigne Ibrahima Dieye
Serigne Ibrahima Dieye
Serigne Ibrahima Dieye
Serigne Ibrahima Dieye

Serigne Ibrahima Dieye

Serigne Ibrahima Dieye

Un protocole optique en infra-rouge

Quand on prend connaissance visuellement pour la première fois des tableaux de l'artiste Serigne Ibrahima Dieye (né en 1988 à Dakar, Sénégal), on est immédiatement frappé par la puissance imaginative qui n'est pas sans évoquer la littérature et plus spécialement la figure d'un La Fontaine et ses fables, par ses métaphores sur la condition humaine et la société. Ici, c'est une autre histoire, dans un tout autre siècle, qui nous est racontée avec les multiples éléments – sujets et objets – que l'artiste a mixé dans son rapport avec le monde et tous les démons qu'il a mis en scène pour rendre compte de cette "Jungle noire" - titre de cette exposition exemplaire et haute en couleur. Regardons en détails ces toiles : Jungle 2# et #4 (2022). Ou bien cet Amour empoisonné (200 x 140 cm), étonnnant. Les Workers, la Promotion canapé où une sorte d'oiseau mord le sein d'une femme attachée par ses pieds ; la Déplumeuse aux griffes acérées. Toutes images montrent la violence et la "soif du pouvoir" dans certains pays totalitaires du continent africain. Les allégories sont implicites dans l'iconographie du peintre.

Les personnages aux têtes d'animaux sont dessinés par des lignes concentriques, comme scribouillés à la plume – ici et là : la couleur profonde d'un bleu mer du sud, les rouge et jaune qui percent la toile – puis des chats étranges qui semblent comploter ; des êtres en conciliabule attablés devant des bouteilles de Coca-Cola ; des têtes de militaires encagés ou grillagés : "Workers". Dans un tout autre contexte, le peintre a mis en scène des crimes qui ont eu lieu en Guinée, en 2019. On voit des policiers trainer des hommes dans la rue. Au loin, une ligne de barbelés, où des formes humaines semblent s'y débattre… Tous ces hommes-animaux hybrides forment une danse macabre, un théâtre où une partie du monde d'aujourd'hui est mis en exergue par sa violence, ses trafics de marchandises humaines… Le symbolisme des images est tout à fait lisible et appelle le spectateur à dénouer les "dénigrements" des actes qui ont eu lieu dans certains pays africains. Les fables de Serigne Ibrahima Dieye ne vous laissent pas indifférents. Les personnages aux crânes décharnés telles des vanités arborent leur funeste danse. Son humour et ses jeux d'anamorphoses se déploient totalement par son imaginaire foisonnant. La cruauté a pris d'autres habits. Mais son réquisitoire reste présent dans le récit, il se déroule comme un grand panorama aux obsessions violentes qui agitent les sociétés tant occidentales que non occidentales. Parmi ses nombreux thèmes, l’artiste a évoqué l’un d'eux : c'est le procès qui s'est déroulé en Guinée de l'ancien dictateur Moussa Dadis Camara (Sékou Touré en était un également, dans les années 1970, ce dernier pendait ses opposants sous les ponts de Conakry), jugé pour les massacres du stade à Conakry, en 2009, où tout au moins 150 personnes ont été tuées et où des femmes furent violées.

Tous les miroirs se sont brisés !

La technique picturale de Serigne Ibrahima Dieye utilise l'acrylique, l'encre et les pastels sur ses grandes toiles souvent carrées. Les traits à l'encre de Chine noire en circonvolutions forment des figures et attestent de son style qui s'appuie sur plusieurs matériaux plastiques. La maîtrise de la composition est évidente. Il élabore un protocole optique discursif et métaphorique. La Fontaine n'écrivait-il pas : "Mon âme en toute occasion / Développe le vrai caché sous l'apparence."

Il y a dans ces images une satire d'une noire ironie, elles montrent la stupidité des gens de pouvoir. Les ressorts de la fable, comme a pu les inventer La Fontaine à travers ses contes, expriment souvent l'innocence et la grande souffrance – dans notre monde où le faux est institutionnalisé – ces dernières agissent comme des fictions où se mêlent une forme d'envoûtement, non sans un effet de charme qui les sauvent du "mal". Les hommes et les animaux sont toujours malades de la peste ! Le Lion, le Renard, l'Âne, le Tigre et l'Ours, le Loup… ils sont tous là à se désavouer. Et La Fontaine évoque tout au début de sa fable : "Un mal qui répand la terreur (…) puis ce final : "Selon que vous serez puissant ou misérable/ Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir".

Observons encore les scènes de ces images : Dark scenery #8, 2022, avec mitraillette ; superbe celle qui traîne un buffle : Dark scenery #4, 2022 ; un enfant ; des animaux qui ressemblent à des hyènes, etc.
La démarche de cet artiste est sans conteste originale et se distingue pour ainsi dire des artistes africains (Les artistes tels que Pascale Marthine Tayou (1966) et Romuald Hazoumè (1961) que nous connaissons bien appartiennent à une autre génération et sont très originaux dans leur art. Et tout dernièrement Omar Ba né en 1977.) qui ont surgi ces dix dernières années – amplement médiatisés sur le marché. Le bestiaire de Dieye singulier et fascinant ne laisse pas indifférent. Ses tableaux éveillent par leur choc visuel et leur brûlante création.
 
Patrick Amine
Paris, février 2023
 
 
Galerie Cécile Fakhoury Paris, 29 av. Matignon. 75008 Paris.
Serigne Ibrahima Dieye, Jungle Noire. Jusqu’au 25 février 2023. Paris
La Galerie est aussi basée à Abidjan et Dakar. paris@cecilefakhoury.com
Exposition à Cannes au Suquets des artistes : Diffractions humaines, 7 rue Saint-Diziez, 06400 Cannes jusqu'au 23 avril 2023..
www.cecilefakhoury.com - tél. : +33 6 62 42 74 54

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