Le Musée des Graffiti
de Belleville à Paris
Musée des Graffiti, Yona Friedman
Musée des Graffiti, Yona Friedman
Musée des Graffiti, Yona Friedman
Musée des Graffiti, Yona Friedman
 
 

Musée des Graffiti, Yona Friedman

Musée des Graffiti, Yona Friedman, affiche

 
 
 
 
C'est une aventure exemplaire.
Elle se déroule sur un terrain en friche dans un quartier ingrat de Paris, elle met en action une poignée de citoyens tenaces et un architecte visionnaire, jamais à court d'idées. Laissez mijoter ces acteurs pendant six ans. Six ans de tracasseries, de travaux bénévoles, d'assemblées de quartier, de persuasion auprès des autorités. Il en sort quasi miraculeusement une construction originale, unique en son genre, un Musée des Graffiti, sis au 295 rue de Belleville, non loin de la porte des Lilas.

Il y avait à cet endroit depuis 1989 un trou sordide, un dépotoir, une dent creuse entre deux immeubles aussi laids que tous ceux de ce bout du monde périphérique, obstruée par les étais qui soutenaient les murs mitoyens, et défigurée par un panneau publicitaire hideux. Quelques habitants décidés à mettre fin à ce scandale, commencèrent à déblayer le terrain et réfléchirent à une nouvelle destinée pour cette parcelle déclarée inconstructible. En effet, l'élargissement programmé de la rue (ouvrir Paris à l'automobile !) imposait une réserve de voierie et le retrait de toute hypothétique construction par rapport à l'alignement des autres immeubles. Pour donner une existence juridique à ces efforts bénévoles fut créée en 2003 l'Association Lilolila 19. présidée par Bruno Garnerone. Avec le soutien de nouveaux élus au Conseil municipal de l'arrondissement, notamment les Verts, elle proposa la création d'un jardin partagé pour les habitants du quartier. Un projet généreux qui apportait une saveur végétale aux pierres fatiguées de la rue, favorisait le goût du jardinage et offrait un terrain de rencontre aux habitants de bonne volonté. La consolidation des immeubles contigus, suivie de la suppression des étais, libéra l'espace et vit naître des plate-bandes de fleurs et de légumes, un lieu idéal pour les fêtes de quartier.

Ce premier succès donna à Lilolila 19 l'envie d'aller plus loin, de marquer ce jardin de voisinage d'un signe fort, de rendre à la rue et au quartier sa fierté par une œuvre d'art ou un monument. Contact fut donc pris en 2006 avec le Centre national des Art Plastiques (CNAP) dépendant du Ministère de la Culture et avec la Fondation de France dont le programme Nouveaux Commanditaires soutient les initiatives locales. Ces deux organismes firent des propositions, mirent la petite association en relation avec des artistes. Le choix se porta sur un projet de Yona Friedman. D'emblée un courant de sympathie s'établit entre l'architecte, mondialement connu, et les jeunes animateurs de Lilolila 19. Yona Friedman est peut-être le seul de sa corporation à proclamer que l'architecte, loin de brandir le poing pour un geste public, a vocation de s'effacer devant le désir des habitants pour les aider à devenir auto-constructeurs. Cherchant à annuler la dichotomie entre intérieur et extérieur, il projette des structures protégées mais ouvertes. Structures d'une simplicité désarmante, faites de matériaux simples, faciles à assembler, à l'exemple des constructions précaires des favelas, mais consolidées par l'expérience de l'architecte conseiller.

Le nouveau Musée des Graffitis n'a pas de mystères. Tout y est visible, à plein ciel. Des pieux fichés dans le sol et mutuellement arrimés forment le squelette de la construction qui est chapeauté d'un treillis métallique irrégulier, résistant aux intempéries. Entre ces piliers de bois brut se développe en pliage accordéon un ensemble d'écrans transparents, souples. Ils sont une invitation permanente aux peintres, tagueurs et graffitistes de tous genres. Chacun apporte son matériel et ses couleurs et donne libre cours à son inspiration spontanée. Le Musée se dresse à l'arrière du jardin ouvrier comme un belvédère ou une folie dans les jardins paysagers de jadis. Ainsi s'élabore, selon Yona Friedman, une œuvre collective et anonyme de quartier. Belle idée, généreuse, qui réunit en une même ferveur créatrice grands et petits, chacun prenant son plaisir, soit à dessiner, soit à jardiner. Les feuilles plastiques peuvent être déposées périodiquement et conservées en archives pour de futures expositions de graffitis. Sauf que…

… sauf que cela n'a rien à voir avec l'art des graffitis. L'art des graffitis est un oiseau sauvage qui ne se laisse pas apprivoiser ! Il est le cri de révolte et d'affirmation de soi de la jeune tribu qui projette les apocalypses futures sur les parois des nouvelles cavernes urbaines, comme l'écrit superbement Norman Mailer dans The Faith of Graffiti (1973). Il est un art du refus qui s'exprime dans des lieux bien ciblés de l'espace urbain, selon une stratégie de la visibilité. Il est offert aux passants anonymes par des artistes qui ne sont pas tous anonymes, pour un moment d'arrêt dans la turbulence, une grimace dans la banalité ambiante ou un sourire pour réchauffer un mur lépreux.

Cette remarque n'est pas une critique du Musée des Graffiti proposé aux riverains de la rue de Belleville ; elle veut en faire ressortir la singularité. Et aussi les surprises de son évolution possible. Qu'un même lieu soit dédié aux plaisirs du jardinage et du graphisme, voilà qui est certes étonnant. Mais il ne faut pas oublier que Yona Friedman est aussi l'inventeur d'une méthode de communication par images qui traverse les barrières du langage. Ses fameux Manuels de survie (patronnés par l'Université des Nations-Unies) enseignent aux habitants des bidonvilles des techniques élémentaires pour rendre l'eau potable ou mettre les provisions à l'abri des parasites. Ces dessins simples, qui sont distribués ou affichés, peuvent être surchargés, commentés, coloriés, afin que chacun puisse se les approprier et adapter à son cas. Alors imaginons les Bellevillois redécouvrant les joies de la terre, des semis et de la récolte, puis échangeant recettes, informations et bons conseils sur les écrans transparents de leur belvédère. Comme disait Voltaire, au propre et au figuré : Cultivons notre jardin.
 
Michel Ellenberger
Paris, juillet 2009
 
 
Le Musée des Graffiti est bien visible depuis la rue, 295 rue de Belleville, Paris, 19ème
Pour le visiter, envoyer un message à lilolila@free.fr

accueil     vos réactions     haut de page