Henri Matisse
comme un roman
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Henri Matisse

Henri Matisse, Autoportrait, 1900

"L'art suprême est celui de la variation." André Suarès

Lumières de Matisse

Le titre de cette exposition est assez paradoxal dans la mesure où il emprunte sa référence au fameux livre d'Aragon intitulé justement, Henri Matisse, Roman (Ed. Gallimard, 1ère édition, 1971 - 2ième édition Gallimard, Coll. Quarto, 1998.). En quelque sorte, la citation de ce prodigieux ouvrage est d'une certaine manière quelque peu détournée. On pourrait se demander si la conservatrice (ou les autres personnes qui ont travaillé sur cette exposition) a pleinement saisi le sens et la conception du livre d'Aragon – livre écrit sur plus de trente années de composition, au style inimitable et aux idées exemplaires. Aragon avait conçu son livre comme un "écart" au genre de la critique d'art : il ne se considérait absolument pas comme critique d'art et le souligne notamment dans un autre essai : Je n'ai jamais appris à écrire ou les incipit (Ed. Skira, Les Sentiers de la création, 1969), et scandant sa démarche d'une manière catégorique, en ses mots. Il écrit : "Ceci est un roman, c'est-à-dire un langage imaginé pour expliquer l'activité singulière à quoi s'adonne un peintre ou un sculpteur, s'il faut appeler de leur nom commun ces aventuriers de la pierre ou de la toile, dont l'art est précisément ce qui échappe aux explications de texte." Dont acte. Et, Aragon écrit plus loin dans son Matisse : "Chaque moyen d'expression a ses limites, ses vertus, ses manques. Rien n'est plus arbitraire que d'essayer de substituer la parole écrite au dessin, à la peinture. Cela s'appelle la critique d'art, et je n'ai pas conscience d'en être coupable ici." Précision complémentaire.

Le Centre Pompidou rend hommage à Henri Matisse (1869-1954), à l'occasion de son cent-cinquantième anniversaire de la naissance, avec un ensemble de 230 œuvres et 70 documents et archives, notamment des livres introuvables, des correspondances, et notamment les six gravures réalisées pour illustrer Ulysses de Joyce, commande faite sous la direction de George Macy pour une édition américaine. Cette exposition se déploie en neuf parties. Un ensemble qui provient essentiellement du musée National d'art moderne de la ville de Paris. De la peinture du commencement, en passant par Cézanne puis aux fauves (1905-1906), jusqu'à sa dernière époque avec les gouaches découpées, les collages de papiers gouachés, aux formes libres empruntant aux mouvements des corps et, bien sûr, à la danse. Matisse s'est fixé d'innover inlassablement tout au long de sa vie d'artiste. (1)

Cette célébration s'est enrichie avec la collection du Centre de prêts remarquables des musées hexagonaux : les deux musées Matisse, au Cateau-Cambrésis et à Nice, ainsi que la riche collection Matisse du musée de Grenoble, dont l'Intérieur aux aubergines (1911), est déplacé pour l'exposition exceptionnellement – un texte de Dominique Fourcade, Rêver à trois aubergines, est publié, en petit volume, par le Centre Pompidou, qui raconte l'histoire de ce tableau et ses différentes péripéties à travers le temps (il dévoile le sujet en 1974). Cette œuvre appartient à la série intitulée : "Intérieurs symphoniques", nommés ainsi par Alfred Baar, ensuite, avec La famille du peintre, L'Atelier rouge et L'Atelier rose, réalisé à Issy-les-Moulineaux. Il s'installe à Collioure la même année, avant sa période marocaine, en 1912. La conservatrice, Aurélie Verdier, a ponctué cette exposition par quelques textes de Louis Aragon, Georges Duthuit, Clement Greenberg, Charles Lewis Hind, Pierre Schneider, Jean Clay, et, bien sûr, par ceux de Matisse lui-même. C'est ce leitmotiv qui sous-tend le propos général de l'exposition qui cherche à montrer les différentes étapes de la création de Matisse, en écho au livre d'Aragon, comme "filiation" – c'est moi qui souligne.

En 2012, le Centre Pompidou avait consacré une exposition à Matisse intitulée : "Paires et séries". Ce qui nous rapproche aujourd'hui de la notion de variation définie par l'artiste et la répétition d'un même motif. "Je me suis inventé en considérant d'abord mes premières œuvres. Elles trompent rarement. J'y ai trouvé une chose toujours semblable que je crus à première vue une répétition mettant de la monotonie dans mes tableaux. C'était la manifestation de ma personnalité apparue la même quels que fussent les divers états d'esprit par lesquels j'ai passé." (2)

Flashback. En 1917, il s'installe à Nice et sa vision de la peinture change encore. Il dira plus tard : "Réunir le passé avec l'avenir de la tradition plastique". En 1954, il évoque ses premières visites, en 1890, au Musée Lécuyer à Saint-Quentin. "On y voyait, écrit-il, une centaine d'esquisses exécutées par Quentin de La Tour au pastel avant de faire ses grands portraits d'apparat. Touché par ces aimables visages, j'ai constaté ensuite que chacun d'eux était bien personnel. J'étais surpris, en sortant du musée, de la variété de sourire particulier à chacun des masques […] ils m'impressionnaient au point d'en avoir les muscles du rire fatigués [c'est moi qui souligne]." Mot que rapporte Marcelin Pleynet dans son livre sur Matisse (3)

Matisse peint son premier tableau, Nature morte avec des livres, en 1890. Il rencontre Albert Marquet. Aux Beaux-Arts, il suit l'enseignement de Gustave Moreau dans son atelier, lequel l'encourage à développer sa conception de la peinture et lui dira : "Vous allez simplifier la peinture". Il rencontrera Rodin et Pissaro. Plus tard, à Londres, il découvre la peinture de Turner. Il étudie la sculpture avec Bourdelle, à l'Académie de la Grande Chaumière. Derain lui présente Maurice de Vlaminck. Berthe Weil sera son premier marchand en 1902, et Ambroise Vollard organise sa première exposition personnelle. Il s'installe dans son premier atelier dans l'ancien Couvent des Oiseaux, rue de Sèvres. Il achète un Cézanne, Les Trois baigneuses, à Vollard, en 1900 – car il considère le peintre d'Aix comme son maître absolu ! Tableau présent dans l'exposition. De sa période où il expose au salon d'Automne de 1905, avec Derain, Van Dongen, Vlaminck, un journaliste avance le mot de Fauve à leur propos. Matisse dira : "Le fauvisme secoue la tyrannie du divisionnisme. (…) Il y a aussi à ce moment, l'influence de Gauguin et Van Gogh. Voici les idées d'alors : construction par surfaces colorées, recherche d'intensité dans la couleur. La lumière n'est pas supprimée, mais elle se trouve exprimée par un accord des surfaces colorées intensément. Mon tableau La Musique était fait avec un beau bleu pour le ciel, le plus bleu des bleus. La surface était colorée à saturation, c'est-à-dire jusqu'au point où le bleu, l'idée du bleu absolu, apparaissait entièrement, le vert des arbres et le vermillon vibrant des corps. J'avais avec ces trois couleurs mon accord lumineux, et aussi la pureté dans la teinte. Signe particulier, la couleur était proportionnée à la forme. La forme se modifiait, selon les réactions des voisinages colorés. Car l'expression vient de la surface colorée que le spectateur saisit dans son entier." (4) L'importance de la lumière traverse toute son œuvre.

Il rencontre Gertrude Stein et son frère Léo qui habitent Paris qui lui achèteront Femme au chapeau. Chez eux, il fait la connaissance de Picasso, en 1907, bien plus jeune que lui de 12 ans. En 1909, le collectionneur russe Sergueï Chtchoukine lui commande deux toiles : La Danse et La Musique, deux chefs-d'œuvre présentés à Paris en 1910 et installées à Moscou, en 1911. Que nous avons pu voir en France ces dernières années.

Avant de s'installer à Nice (1916-1917 où il rencontrera Renoir, un an plus tard), il vit en Corse, il peint de nombreuses toiles à Ajaccio, puis à Collioure ; ensuite il visitera l'Andalousie, le Maroc... avec Camoin et Marquet. Ces voyages l'inspirent. La céramique et la faïence, puis les arabesques apparaissent comme des signes et des impressions qui s'infiltrent dans son style et sa vision de la peinture. Matisse et Picasso exposent ensemble à la galerie Paul Guillaume, Apollinaire (5) préface le catalogue. Cette note historique est nécessaire pour remontrer le temps et suivre le grand bouleversement esthétique de Matisse et la transformation de son art. Sur la circularité de son œuvre jusqu'aux dernières œuvres, les papiers découpés (notamment les quatre Nus bleus de 1952), il précisera : "Une peinture est comme un jeu de cartes, vous devez savoir depuis le début ce que vous obtiendrez à la fin. Tout doit être travaillé à l'envers et fini avant même que l'on ait commencé." (6)

Les œuvres qui nous absorbent toujours sont : Nu bleu découpé, premières toiles, natures mortes, Pour Madame Matisse, Nus de 1906, Nu à la bague, des dessins xylographiés, Papiers gouachés et punaisés, Danseurs, Odalisque de 1921, Animal, La Gitane, quelque peu fauve de 1905 ; Etudes de la Chocolatière, ou Soupière, Lorette à la tasse de thé, La Blouse roumaine (1940), la série de Jazz (1947), Le Luxe, peinture et dessin (1907), Etude pour le rêve (1935), les 4 sculptures impressionnantes de nu, et bien d'autres, évidemment à redécouvrir.

A propos des motifs ornementaux, Matisse s'expliquera : "La composition est l'art d'arranger de manière décorative les divers éléments dont le peintre dispose pour exprimer ses sentiments." Plus tard, en 1913, il dira à Clara MacChesney : "Je peins rarement des portraits, et quand je le fais c'est de façon décorative. Je ne puis les envisager autrement". (in Ecrits et Propos sur l'art). En 1930, il illustre les Poésies de Mallarmé. Matisse fera couverture originale de la revue Verve (1937), dirigée par Tériade, quatre numéros par an, où participent Miró, Brassaï, Bataille, Michaux, Joyce, Hemingway, Khanweiler… il fera aussi celle de 1958 avec ses dernières reproduites, puis il collabore ensuite à la revue surréaliste Minotaure (1933-1939) dirigée par l'éditeur Albert Skira et Tériade, la première couverture sera de Picasso et celle de Matisse en 1939, n°9 ; il illustre encore quelques poésies de Mallarmé. On peut y voir une évocation à travers les toiles de la période, telles que Nymphe dans la forêt (La Verdure) (1935-1943). Puis plus tard, ce sera la série Jazz qui joue sur le mot les formes découpées des gouaches évoquant une gestuelle dansée, avec des textes. Le noir et le blanc évoluent dans l'espace circonscrit par Matisse sur fond de matière blanche.

Je voudrais citer ici quelques mots des peintres américains interviewés par J. C. Lebensztejn. Lichtenstein : "(Picasso et Matisse) sont différents l'un de l'autre, mais d'un autre côté, ils représentent encore la peinture européenne : une touche caractéristique, ou quelque chose qui fait très peinture. Et je crois que c'est pour cette raison que l'on s'ingénie à les fuir. Les expressionnistes abstraits ont tenté de leur échapper. Mais au bout du compte, ils n'ont fait que se rapprocher d'eux (…)" ; Wesselmann : "Je l'idolâtrais (Matisse) comme j'idolâtrais de Kooning, mais j'étais également déterminé à ne pas tomber dans sa sphère d'influence, aussi j'au tout fait pour oublier ce que j'ai appris de lui."

Carl André disait que Matisse avait offert aux peintres américains une alternative à Picasso ; il ajoute plus loin : "Je rapproche Matisse du jeune Vuillard, qui a ajouté l'impressionnisme de l'espace à l'impressionnisme de la couleur – la peinture de Vuillard consistait à imbriquer les espaces les uns dans les autres sur le plan de la toile ; Matisse faisait la même chose dans sa peinture." Il faut lire la fin de son intervention sur art, la vie et la politique. Donald Judd : "Matisse a repris des formes qu'il a utilisées tout au long de sa vie, il les a libérées, les a rendues indépendantes, ce qui était tout à fait logique." : Sur la Musique et La Danse (les Matisse de L'Hermitage), Brice Marden dit : "Elles sortent en droite lignes de peintures rupestres. (…) Leur respect pour la joie, la nature, la musique et la danse : ces choses si expressives." Insistant sur cette richesse et cette vie que Matisse parvient à incorporer dans un tableau, "pour faire qu'un tableau signifie plus que ce qu'il montre." Frank Stella : "La chose qui m'intéressait chez Matisse est qu'il semblait vraiment capable de se confronter aux rapports d'échelle – aux rapports d'échelle et à la taille – tout en restant extrêmement direct et réussissant son tableau." Un jour, on demanda à Warhol ce qu'il voulait vraiment dans la vie, il répondit : "Je veux être Matisse." Cité par Calvin Tomkins, Raggedy Andy de John Coplans, Andy Warhol, New York Graphic, 1971.

Les points de vue des artistes américains sur les peintres européens du XXième siècle sont souvent surprenants, ils apportent une autre vision sur les expériences artistiques de leurs aînés.
Matisse concentrera, tout au long de sa vie d'artiste, les lignes et la couleur à son effet maximum pour intensifier et accroître sa recherche d'expression en la matérialisant dans l'espace qu'il s'est donné. Je n'hésite pas à citer encore notre cher Apollinaire (pas encore entré au Panthéon, comprenne qui veut !) : "l'œuvre d'Henri Matisse est un fruit de lumière".
 
Patrick Amine
Paris, novembre 2020
 
 
Matisse, comme un roman au Centre Pompidou Paris
du 21 octobre 2020 au 22 février 2021
© Succession H. Matisse pour les œuvres reproduites.
www.centrepompidou.fr

Notes & Bibliographie choisie

Commissaire de l'exposition : Aurélie Verdier - Introduction du catalogue "L'amour m'expose ", Avec les textes du catalogue : "La volonté du tableau", Gaku Kondo, "Peindre solide" : Henri Matisse et l'œuvre reproductible, Claudine Grammont, "Car la merveille, c'est qu'il y a aussi un Matisse écrivain", Anne Théry, "Aujourd'hui, l'Intérieur aux aubergines", Rémi Labrusse.

(1) Picasso disait à propos de Matisse :
"Entre lui et moi il y a notre œuvre commune pour la peinture : quoi qu'on veuille, ça nous lie."
(2) Henri Matisse interrogé par Guillaume Apollinaire (La Phalange, n°2, décembre 1907)
(3) Marcelin Pleynet, Matisse (Folio, Ed. Gallimard)
(4) Propos de Matisse à Tériade, in L'Intransigeant, 14/01/1929
(5) Apollinaire : "Si l'on devait comparer l'œuvre d'Henri Matisse à quelque chose, il faudrait choisir l'orange. Comme elle, l'œuvre d'Henri Matisse est un fruit de lumière éclatante. Avec une entière bonne foi et un pur souci de se connaître et de se réaliser, ce peintre n'a cessé de suivre son instinct. Il lui laisse le soin de choisir entre les émotions, de juger et de limiter la fantaisie et celui de scruter profondément la lumière, rien que la lumière. À vue d'œil, son art s'est dépouillé et malgré sa simplicité toujours plus grande il n'a pas manqué de devenir plus somptueux. Ce n'est pas l'habileté qui rend ainsi cet art plus simple et l'œuvre plus lisible. Mais, la beauté de la lumière se confondant chaque jour davantage avec la vertu de l'instinct auquel l'artiste se fie entièrement, tout ce qui contrariait cette union disparaît comme il arrive aux souvenirs de se fondre dans les brouillards du passé." Chroniques d'art (Ed. Folio essais).
(6) Matisse in La leçon de Matisse, souvenirs de l'ami allemand, Hans Purrmann (1880-1962) - 1922, Editions de L'Echoppe. 2020. Peintre allemand qui fut aussi l'élève de Matisse. "Ce n'est pas un crime que de s'en tenir à la nature, de vouloir en donner une image fidèle ; il faut s'y soumettre avant de prendre du recul pour mieux s'identifier à elle, voire pour la rendre plus belle ! Pour le dire autrement, il faut d'abord apprendre à marcher avant de se hisser sur la corde raide. Bien sûr, je crois être en mesure de vous dire si vous êtes sur la corde raide ou si vous êtes encore à terre ; mais en quoi cela vous avancerait-il ? c'est à vous de trouver votre propre équilibre". Mot de Matisse rapporté par H. P.
(7) Publications diverses :
Jean-Claude Lebensztejn, Huit propos d'artistes sur Henri Matisse, Recueil d'entretiens avec Lichtenstein, Wesselmann, Carl Andre, Donald Judd, Brice Marden, Frank Stella, Andy Warhol (1974-1975) – Dominique Fourcade, Rêver à trois aubergines, Ed. Centre Pompidou (précédemment publié dans la revue Critique, mai 1974. Henri Matisse, Ecrits et propos sur l'art, Ed. Hermann, 1972.

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