Martin Barré
Centre Pompidou Paris
Martin Barré
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Martin Barré

Martin Barré (1924-1993) est sans doute le peintre français qui s'inscrit le mieux dans ce qu'on appelle le courant du "minimalisme" et de l'abstraction dans sa dernière période. Cette exposition est placée sous le commissariat de Michel Gauthier, conservateur au Centre Pompidou.

Connu notamment pour ses tableaux "bombés" (utilisation des bombes aérosol) avec des signes, des hachures et des traits qui ponctuent la toile, sa première période de 1955-1959, qui est représentée ici, le geste de Martin Barré conserve encore une certaine audace moderniste. Peintre conceptuel, peut-on dire, comme le furent Morellet ou Sol LeWitt, avec des différences et des approches différentes. Si l'on se replonge à la fin des années 1950 ou au début des années 1960, l'artiste choisit, sans doute, de liquider le figuratif, nous le supposons, en quelque sorte. "Pour moi, ni le constructif, ni l'utile, ni le fonctionnel ne sont en quoi que ce soit opposés au poétique, au sensible ; bien au contraire, l'un provoque l'autre.", disait-il, en 1976.

Michel Gauthier a intitulé son texte d'introduction au catalogue : Martin Barré ou l'espace des vacances. Ce qui est d'une certaine manière rafraichissant. Pour ses premières toiles, il le rapproche du peintre américain, Clyfford Still, pour ses marques au couteaux où la peinture semble couler. Effet non recherché chez Barré, dans la mesure où il signe une rupture avec l'abstraction. Nous verrons ces fameux tableaux avec des lignes, des hachures, des flèches. Ainsi, Michel Ragon, rapporte dans son livre, Martin Barré et la poétique de l'espace, ce mot de Barré : "Dans cette monochromie qui est déjà espace, mieux étendue, j'introduis imprudemment des formes. […] Leur existence est périlleuse [...] car compte autant pour moi l'espace que leur intrusion provoque." Cité par Michel Gauthier. La ligne est, à cette époque, une ressource majeure, par exemple, de de Hans Hartung. Parlant des peintures de 1960 et 1961, Yve-Alain Bois définit ainsi la teneur indicielle de la ligne : "La ligne se donne à lire comme parcours spatial unidimensionnel, sans ambiguïté (partie d'ici, aboutie là) et comme déroulement temporel (le tracé plus ou moins épais est un indicateur de vitesse, qu'il s'agisse de celle du pigment à sortir du tube sous une pression plus ou moins grande ou celle du mouvement de l'artiste, l'arrêt dans les deux cas coïncidant le plus souvent sous forme d'un effilochage du trait : tube vide, geste achevé)" On rapporte qu'à la fin des années 1950, l'artiste avait envisagé d'exposer un trait continu qui ferait le tour de la galerie. Ce projet, qui n'a pas eu lieu, évoque dans l'histoire le concept du "vide" d'Yves Klein en 1958. On se souvient sans doute de l'exposition réalisée au Centre Pompidou par Laurent Le Bon (actuel directeur du Musée Picasso-Paris, qui avait fait un certain bruit.) Cette ligne qui aurait couru sur les murs de la Galerie Arnaud est également contemporaine de la série des Lignes que Piero Manzoni entreprend en 1959.

"Durant les années 1980 et jusqu'à sa dernière exposition en 1993, Martin Barré jouera à nouveau avec la hauteur d'accrochage de ses œuvres. La conception spatialiste de la peinture qui est la sienne devait nécessairement prendre en compte cet espace qu'est le mur d'accrochage." (…) Gauthier parle de ces peintures, en citant la définition de l'ironie romantique de Walter Benjamin : "Cette destruction de la forme destinée à faire, de chaque œuvre, l'œuvre absolument parlant." Regardons cette toile blanche dont le coin supérieur gauche est occupé par un inextricable écheveau de lignes noires. On a l'impression de ratures et de gribouillis. Barré recouvre la toile de plusieurs couches de blanc casse : traçage en oblique d'un fragment de grille ; hachurage ou marquage de toutes les cases ou de certaines d'entre elles. Ainsi l'espace est maculé et apparaît sans une forme. "C'est dans les années 1950 que j'ai commencé réellement de me manifester. Les premières toiles de ces années-là ne ressemblaient ni à l'abstraction géométrique ni à l'abstraction lyrique ; je cherchais à me situer, disons, ailleurs." Martin Barré, 1985.

Je cite encore l'excellent essai d'Yves-Alain Bois, La Patte et la pâte…, (in catalogue)  qui rapporte cette anecdote : "La grande affaire, écrivait le jeune Eugène Delacroix (in Journal de Delacroix) en 1824, c'est d'éviter cette infernale commodité de la brosse. Rends plutôt la matière difficile à travailler comme du marbre : ce serait tout à fait neuf… Rendre la matière rebelle pour la vaincre avec patience." Il poursuit : "La première phrase de cette citation a été rendue célèbre par Paul Signac, ce qui s'accorde très bien avec sa propre technique picturale (mais pas tant que cela avec celle d'Eugène Delacroix). Le rejet de "la belle facture" était rapidement devenu un cri de ralliement des néo-impressionnistes. Félix Fénéon, leur défenseur le plus éloquent, avait ainsi présenté Un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte de Georges Seurat dès 1886 : "Ici, en effet, la patte est inutile, le truquage impossible ; nulle place pour les morceaux de bravoure ; — que la main soit gourde, mais que l'œil soit agile, perspicace et savant." Comme nous le rappelle Thierry de Duve, c'est d'ailleurs l'élimination de la patte, de la touche subjective, de "tout ce travail de la main" qui, pour Marcel Duchamp, sauve Georges Seurat de son péché rétinien." Ces précisions techniques et conceptuelles d'une époque sont nécessaires pour l'Histoire de la peinture et des peintres qui les ont pris en écharpe – ce sont de fameux motifs.

Les "bombes", ces tableaux sont comme des étoiles filantes dans l'œuvre de Martin Barré. Elles sont marquantes dans notre perception de la peinture et de son histoire dans un moment esthétique donné. Les essayistes évoquent les Black Paintings de Frank Stella ou d'Ad Reinhardt, les Tagli de Lucio Fontana ou les monochromes d'Yves Klein, ou Lo Savio ou Fontana pour ses lacérations. Par la suite, Martin Barré, après les années 1962, s'oriente vers des tableaux de "quadriptyques", et vers des séries de couleur en 1972-1977, après une période d'interruption. L'artiste s'interroge alors sur son esthétique et sa peinture. On a pu en voir au musée d'art moderne de Paris. Il intitule une série : L'indissociable (1979). Il élabore par la suite ses fameux triangles aux arêtes coupées, des carrés de couleurs. Ce sont les dernières séries du peintre, 1992-1993. Il pensait que le triangle produit toujours de la difficulté. On évoque pour cette période Mondrian ou Malévitch – notamment pour une certaine déconstruction de la forme et de la couleur. "La sérialité n'a pas pour but de produire des toiles presque semblables mais de produire des tableaux qui sont le plus possible différents les uns des autres, et ce qui compte, c'est le tableau. La sérialité est le moyen pour les produire. Ce n'est pas tant les tableaux qui font la série que la série qui produit les tableaux", dit-il dans une interview avec Catherine Millet dans art press, en 1985. Soulignons que Martin Barré a toujours apporté un soin extrême à la scénographie de ses expositions. Et jusqu'à la fin, l'artiste a renouvelé son langage pictural. Allez voir ou revoir une histoire de la peinture française.
 
Patrick Amine
Paris, novembre 2020
 
 
Martin Barré, Centre Pompidou, Paris
du 14 oct. 2020 au 4 janvier 2021
www.centrepompidou.fr

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