Gustav Klimt
25 dessins
Gustav Klimt
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Gustav Klimt

Gustav Klimt, © galerie Eric Coatalem

 
 
 
 
La rentrée n'est jamais avare de manifestations événementielles. À côté des mastodontes Mantegna au Louvre et Picasso et les maîtres au Grand Palais, quelques lieux plus discrets proposent un programme non moins alléchant. Du côté du Faubourg Saint-Honoré, qui prend souvent des airs de défilé des chefs-d'œuvre, la galerie Coatalem organise une exposition de dessins, modeste par la quantité mais exigeant par la qualité, comme le propriétaire des lieux en a l'habitude. Le plus souvent, ce grand marchand d'art ancien privilégie un XVIIe méconnu mais magnifique, comme avec ses rétrospectives Lubin Baugin et François Perrier. Une fois n'est pas coutume, c'est un artiste moderne qui est à l'honneur, et même un artiste rare, car peu montré en dehors de son Autriche natale : Gustav Klimt, maître incontesté de la Sécession Viennoise, brillamment représenté par 25 feuilles, patiemment acquises au fil des années, avec une persévérance qu'on imagine aussi éprouvée que passionnée.

Les amateurs du maître autrichien reconnaîtront quelques études pour des décors et des tableaux bien connus. Ici une jeune personne, les jambes serrées dans l'extase, qui deviendra Danaé sur la toile ; là une personnification de L'Attente pour le Palais Stoclet, déjà saisie dans son attitude raide et sinueuse en même temps, mais pas encore parée des arabesques d'or et d'argent de la composition bruxelloise. Dans ce florilège, le dessin se conjugue invariablement au féminin : Klimt épie la belle endormie, esquisse les sourires et ne cache pas les demoiselles tendrement enlacées. Aucun tabou dans ces corps détaillés jusque dans leurs plus intimes parties_ une pilosité exhibée dont le réalisme cru n'a alors d'égal, finalement, que les figures de Modigliani. Tout est montré avec ostension, certes, mais avec une sympathie entière qui ne verse jamais dans la vulgarité. Le trait caresse sans jamais violer. L'érotisme évident, presque obsédant à force d'être récurrent, prend souvent pour prétexte la contemplation d'un instant de grâce quotidienne, parée d'une atmosphère ouatée, qu'on perçoit dans les grands vides laissés sur la feuille. Ces instantanés du monde féminin privé tranchent avec le Klimt coloré et sophistiqué des grandes peintures, et nous confronte à un dessinateur en symbiose avec le modèle.

Tour à tour amante, modèle et muse, la femme chez Klimt reste avant tout la créature sublime par excellence, pareille à ces nymphes fantasmées de l'académisme, si ce n'est que sa chair tressaille des élans de son âme. Plongée dans le sommeil, elle dévoile des traits harmonieux, embellis par le repos. Lorsqu'elle est éveillée, nul besoin que l'artiste se cache : la femme s'offre au regard impudent, qui en retour immortalise la moindre de ses beautés. La ligne tremble, car aucun contour ne peut vraiment délimiter ces courbes et leur vie incessante. Les membres se déploient dans la volupté du délassement, la poitrine se gonfle de plaisir à être vue et admirée, et la sérénité irradie un visage réduit à la plus simple expression de son attrait_ quelques traits épurés pour des formes bien pleines.

Du portraitiste mondain se détache le Portrait de Johanna Staude, avec la fourrure autour de son cou, élément ornemental répondant aux boucles de sa chevelure. Une représentation d'Adèle Bloch-Bauer, maîtresse de l'artiste dont un portrait peint a récemment pulvérisé les records de vente, tient plutôt de l'esquisse nerveuse : la pose se résume en quelques tracés concis, tandis que le visage affiche une passivité presque statuaire. Le contraste est assez net avec le magnifique et anonyme Portrait de femme. Le regard d'une douceur sans pareil, encadré par deux boucles charmantes, cette jeune beauté à l'air absente possède un je-ne-sais-quoi des bustes féminins du Quattrocento florentin. En tout cas, la feuille démontre bien la technique virtuose de Klimt : l'enchevêtrement des traits, de près, se dissipe pour laisser la place en s'éloignant, à une épure graphique où se confondent plénitude physique et grandeur morale.

Évoluant dans une ambiance symboliste saturée de références culturelles ou mystiques à l'idéal féminin, Klimt a réussi autour de 1900 a renouvelé l'image de la femme par une recherche affirmée de son identité psychologique et charnelle la plus singulière, quitte à outrepasser les limites de la décadence fixées par la bonne société viennoise. Malgré leur charme indéniable et leur importance esthétique, les œuvres peintes ont plutôt tendance à nous faire oublier ce Klimt sensualiste, amoureux de son art et de ses sujets. L'expérience intimiste fonctionne d'ailleurs à merveille sur les murs de la galerie, dont l'accrochage impeccable n'a guère à rougir des grandes expositions de cet automne.
 
Benjamin Couilleaux
Paris, octobre 2008
 
 
Gustav Klimt, 25 dessins, galerie Eric Coatalem, 93, faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris,
www.coatalem.com - du 9 septembre au 4 octobre 2008

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