Michel Houellebecq, Rester vivant
Palais de Tokyo
 
Michel Houellebecq, Rester vivant
Michel Houellebecq, Rester vivant
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Michel Houellebecq, Rester vivant
Michel Houellebecq, Rester vivant
Michel Houellebecq, Rester vivant
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Michel Houellebecq, Rester vivant

Michel Houellebecq, Rester vivant

Le titre de l'exposition semble s'adresser aussi bien à Houellebecq qu'aux visiteurs, comme un encouragement ironique… Invité par le Palais de Tokyo à jouer les commissaires d'exposition l'écrivain montre ses propres œuvres et celles de ses amis, notamment R. Combas. Car Houellebecq se révèle photographe et scénographe, avec un talent certain pour la mise en scène de son univers personnel : il vaut mieux connaître ses romans et ses poèmes pour apprécier cette exposition où les cartels sont réduits au minimum !

Début "plombant" d'après les mots de l'écrivain, dans des salles aux murs gris foncé où s'étalent des photographies de lieux abandonnés, des zones périurbaines, des immeubles de banlieue, des gares (Calais) ou des parkings de supermarchés. Immersion dans le monde contemporain glacial que Houellebecq décrit à longueur de romans, agrémentée d'un néon qui grésille au plafond : ambiance de parking effectivement, renforcée par des images qui pourraient provenir de caméras de surveillance … Au milieu de cette désolation, deux photographies de jardins luxuriants, sans doute prises en Espagne, qui évoquent un paradis perdu ?

Houellebecq semble maîtriser l'art du commissariat d'exposition à merveille, il ménage des digressions dans de petites salles latérales, libre aux visiteurs de se perdre s'ils le souhaitent. Par endroits des extraits de l'adaptation cinéma de La Possibilité d'une île surgissent sur des écrans, comme un souvenir tenace qui hanterait toute l'exposition… Houellebecq expose des images d'un scanner de son cerveau, prétexte à une réflexion sur l'au-delà et la spiritualité, et certaines de ses installations flirtent même avec le conceptuel : Houellebecq serait-il en passe de devenir un artiste branché ? Pas sûr, l'écrivain semble plutôt se délecter de la liberté totale qui lui est accordée, et il en joue jusqu'au bout : il se cite lui-même abondamment, projette des extraits de ses œuvres sur des photographies, et revient toujours à ses deux ouvrages de référence, La Possibilité d'une île et La Carte et le Territoire. Ce dernier ouvrage (Prix Goncourt) examinait avec ironie le milieu de l'art contemporain, l'écrivain se retrouve donc cette fois dans l'univers de son roman !

Changement de décor à mi-parcours avec une évocation du tourisme de masse, autre thème cher à Houellebecq : au sol s'étalent des dizaines de cartes postales de vacance, ensoleillées et artificielles. L'éclairage devient plus cru, et aux murs ce sont des photographies de la côte espagnole, avec piscines, immeubles blancs et touristes rouges : les visiteurs s'attendent à y croiser des personnages des romans de Houellebecq. Retour à un éclairage plus calme ensuite, avec des photographies de mines à ciel ouvert en Espagne contrastant avec celles de villages français dans la brume. Une réflexion sur la ruralité et l'extension de l'urbanisme s'amorce ici, comme dans la plupart des romans de l'écrivain. Le cadrage est parfait et Houellebecq se révèle un bon photographe, avec un œil pour les décors naturels qui tendent vers l'artificiel.

Au cœur du parcours se trouve une grande salle consacrée aux peintures récentes de R. Combas, inspirées par les textes poétiques de Houellebecq. L'écrivain s'y montre romantique car ces poèmes parlent avant tout d'amour et de solitude, et visiblement Combas y puise une inspiration féconde : les grandes toiles rivalisent de bleu et de blanc, avec des personnages grandeur nature qui essayent de trouver l'amour… Très houellebecquien donc, comme une allusion aux personnages égarés des romans de l'écrivain.

Sur la fin de l'exposition les thèmes se font à nouveau graves, avec une salle consacrée aux femmes dont le décor ressemble à celui d'un club échangiste : moquette à motif zèbre et siège en velours… Les images de femmes dégagent une grande tristesse, accentuée par les accessoires SM bas de gamme et les regards perdus de ces jeunes filles : sexualité glauque et solitude, on se croirait dans Les Particules élémentaires ! Il est intéressant de noter que Houellebecq mélange ici des photos de ses compagnes avec celles d'un modèle dont il louait les services pour un projet de roman-photo : il travaille donc encore sur les liens entre réel et fiction.

L'avant dernière salle ressemble à un oratoire dédié à la mémoire du dernier chien de Houellebecq, Clément, un Welsh Corgi qui apparaissait dans certains romans. Moquette écossaise au sol et murs en faux bois, vitrine où sont exposés tous les jouets que Clément possédait, aquarelles de Houellebecq représentant le chien sous toutes les coutures, photographies de vacance etc… Et en fond sonore la voix de Iggy Pop récitant des poèmes de Houellebecq sur son chien ! Comme bon nombre de misanthropes l'écrivain semble préférer les animaux aux humains, et il se montre ici plein de sensibilité et d'affection pour Clément qui fut pour lui un véritable compagnon de vie.

Dernière salle enfin, où Houellebecq a souhaité revenir aux fondamentaux, à savoir le désespoir existentiel qui envahit le monde contemporain : murs gris foncés comme dans les premières salles et images de déserts et de poussière. La salle étroite et resserrée renforce l'impression d'angoisse suscitée par les images, et en sortant le visiteur se demande s'il ne vient pas de voir une exposition sur un monde qui a disparu après une catastrophe. C'est l'effet recherché par Houellebecq qui espère que les visiteurs retourneront une seconde fois dans l'exposition…

Au jeu des correspondances entre l'univers romanesque et l'art, Houellebecq se révèle un maître, car il possède la sensibilité et le regard nécessaires pour créer des ponts au sein de ses œuvres tout en accueillant celles des autres. Son univers romanesque semble finalement se dilater dans le réel et contaminer tranquillement les objets exposés, à moins que ce ne soit l'inverse…
 
Olympe Lemut
Paris, août 2016
 
 
Michel Houellebecq, Rester vivant
Palais de Tokyo (Paris) jusqu'au 11 septembre 2016
www.palaisdetokyo.com

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