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L'espace culturel Louis Vuitton nous propose l'exposition Correspondances qui aborde la démarche du Mail Art au travers de la création de divers artistes, de générations et de sensibilités différentes. L'exposition explore de façon pertinente toutes les correspondances qui peuvent s'établir entre les artistes et ces modes de fonctionnement interactifs. Elle illustre sur cinq décennies les rapports de l'artiste/expéditeur avec ses destinataires et le statut de la préciosité de l'objet, entre envoi expédié, commun et anonyme, et son devenir particulier d'oeuvre d'art.
Dés la rue de Bassano, le ton est donné, présentée dans une vitrine, une série de boites en carton nominées, timbrées, de formats divers et de textures fatiguées - Package Project - une œuvre de Stephen Antonakos de 1971, reprenant les envois postaux de 87 artistes, amis de l'artiste et que celui-ci a conservés tels quels, sans les ouvrir - archéologie d'un échange -, laissant libre cours à l'imagination concernant le contenu.
Le Mail Art naquit dans les années cinquante, utilisant le courrier postal comme médium créatif, il continue à se développer jusqu'à nos jours. Il y a, dès l'origine, chez les artistes l'utilisant une volonté de court-circuiter les fonctionnements classiques de l'art institutionnel et marchand. En se prenant pour paramètres principaux l'échange, l'interaction, la communication et l'idée de réseau interplanétaire, ces artistes activent des nouveaux modes de création, économiquement démocratique, axé sur la convivialité, la découverte et la participation active du destinataire.
Ray Johnson fut inventeur de la "New York Correspondance School", à la fin des années cinquante et fait figure historique du mouvement, il est ici représenté par un vaste présentoir reprenant une sélection de son œuvre, constituée de collages, de dessins et de courriers participatifs. Tous les artistes sélectionnés par Erik Verhagen, le commissaire de l'exposition, représentent une tendance ou une conception particulière du Mail Art au travers de ces décennies. Nous pouvons établir quelques catégories principales comme les envois à un cercle de proches ou amis. Les lettres (Œuvres postales1971-87) que Alighiero Boetti avait envoyées à sa femme lors de ses voyages en Afghanistan et en Ethiopie, ou le travail d'Antonakos cité plus haut, ou les envois participatifs de Vittirio Santoro demandant à des correspondants d'écrire à la main "Silence Destroys Consequences" (2012) dans le courrier qui leur a été envoyé et puis exposés ici dans leurs diversités manuscrites.
Une autre catégorie inclut la notion d'envoi dans un processus artistique. Dans "Halifax Diary", (1971), Jan Dibbets, lors d'une résidence, organise un voyage durant lequel il se fera photographier, il en tirera des cartes postales, qui seront ensuite envoyées, même démarche pour Eleanor Antin, qui dans sa série "100 boots, 1971-73", mettra en scène cent paires de bottes dans différents environnements, sorte d'installations minimalistes, qui seront photographiées et envoyées à des correspondants dans le monde. L'artiste vietnamien Danh VÔ, vivant au Danemark, quant à lui, s'intéresse aux questions géopolitiques et interculturelles. Dans son œuvre "2.2.1861,2009- Dernière lettre de Saint Théophane Vénard à son Père", de 2009, l'artiste s'empare de la lettre d'adieu d'un missionnaire français condamné à mort au XIXème siècle, à son père et demande à son propre père de la reproduire et de l'envoyer à toute personne souhaitant l'acquérir.
D'autres établissent un rapport direct entre l'œuvre et un lieu d'exposition qui devient le destinataire comme Eugenio Dittborn qui crée ses peintures aéropostales depuis 1983, ces œuvres sont envoyées sous-pli et présentées conjointement avec leurs enveloppes fabriquées par l'artiste. A la fin de la manifestation, elles seront réexpédiées. Walead Beshty expédie des cubes de cuivre polis (boites Fedex) sur la surface desquels on peut lire les traces du temps et des voyages. Il y a dans ces démarches aussi la volonté de questionner le statut de l'objet, son parcours au fil du temps et de l'espace, devenu commun et anonyme durant leur envoi et redevenant œuvre d'art après réception.
Kurt Ryslavy, artiste et négociant en vin, établit un rapport direct entre ces deux activités, une dialectique entre l'art, la vie et l'économie est ici déclinée avec humour et ironie. "Le vin est un camouflage bourgeois pour survivre comme un artiste sauvage, la tache de vin une provocation" dira l'artiste. Sa participation à l'exposition "Facture décorative 12/0360,2012" n'est visible que dans le catalogue et consiste dans la reproduction d'une facturation de livraison de vin faite à l'Espace culturel.
Le commissaire a également invité deux artistes à travailler sur la thématique de l'exposition ; Guillaume Leblon propose une installation in-situ ; une série de fragments de portes anciennes londoniennes, avec leurs boites aux lettres, à la lisière de l'intime et du public, qui s'inspirent des souvenirs d'enfance de l'artiste et sont insérés dans un mur de l'exposition. Clarisse Hahn, dans son film "Queridos amigos" (2013), propose des rushes filmés dans le désert de Wirikuta en 2008, montrant la réalité de la vie mexicaine, confrontés à une correspondance intime mais fictive, commandée par la réalisatrice à l'écrivain Thomas Clerc. Les images et les textes se superposent, se croisent pour nous donner à voir un film inédit entre reportage social et fiction littéraire.
Pascal Vrignaud
Paris, mai 2013
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