Patrick Corillon, retour aux sources, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Patrick Corillon, retour aux sources
 
 
Quel genre de prosateur est donc Patrick Corillon ? À l'occasion de sa nouvelle exposition qui se tient au musée des Arts Contemporains du Grand Hornu en Belgique, cet artiste belge nous aura recouverts littéralement de ses lignes et de ses mots, nonobstant le court-circuitage de la littérature même.
Quand
on sait
qu'une utopie
est
étymologiquement
un non lieu,
un grand
nulle part
idéal,
il se
pourrait que
le visiteur
se trouve là
en terre
étrange…

Patrick Corillon
 
 
Patrick Corillon n'écrit pas de livres, mais fait de la littérature et des arts plastiques.

Auteur d'histoires courtes, de fragments, anatomiste du texte démantibulant ce qui constitue la matière du roman : lettres, mots, pans de discours, il manipule en marionnettiste le langage.

A quoi s'ajoute plusieurs costumes : celui du philosophe à grande barbe un tantinet songe-creux, du scientifique expert en endoparasite ou en restauration d'œuvre d'art c'est selon, qui s'arriment aux mythes et à la parabole plus qu'aux concepts, pour donner le change à ses échappées mentales. Fragment, bribes, liasses de pensées, et parfois nouvelles dont il maîtrise le point de chute, constituent la toile légendaire de ses récits en forme de poire ou de poisson pour reprendre le titre éponyme de l'exposition. Qu'ils sautillent au fond d'un étang abandonnés, ou qu'ils peuplent les aquariums d'un aquarelliste infortuné qui comprend que seul les poissons s'intéressent à sa peinture, ces vertébrés aquatiques semblent les véritables légataires métaphoriques de nos pensées dit Corillon : "Ma tête est un plan d'eau. Chacune de mes pensées est un poisson. Parfois on les voit émerger. Parfois, ils replongent. Mais toujours demeure un grand mouvement dessous qui lui reste invisible".
 
 
Patrick Corillon
 
 
Certaines idées émergeraient donc à la surface alors que d'autres resteraient en profondeur ? Enchevêtrement de pensées qui à chaque fois nous rappelle à quoi nous avons dû renoncer pour nous construire. De l'eau aux larmes, il n'y a qu'un pas. Si bien que les petites histoires de Corillon qui apparaissent en premier lieu primesautières cachent souvent sous leur apparente limpidité une défaillance, voire une invraisemblance, comme devant une rivière miroitante dont la surface se troublerait laissant la place à un trou d'eau saumâtre. Une image qui n'est pas hasardeuse, quand on pense l'élément aquatique comme à même de suivre les contours mouvants de la rêverie. Qu'elle inonde une vallée mosane, ou que l'on y vogue comme ses marins de Maastricht, dont on peut voir le vieux pont qui coince par sa hauteur le mât gigantesque construit pour pouvoir affronter la haute mer, l'eau est la matière première de l'imaginaire, l'élément transitoire qui mène la vie ailleurs, vers l'utopie mais aussi au-devant du désastre.
 
 
Patrick Corillon
 
 
De sorte que de la mort au rire d'un canular réussit, Corillon qui se faufile entre Buster Keaton et Frantz Kafka, Alfred Jarry et les contes d'Andersen, invente un méta-texte suave, amère, friable, utopique, saugrenu qui fait du spectateur le lecteur des lignes de fuite dévolues à ces métamorphoses qui prennent toutes leurs sources au pays natal c'est-à-dire en Belgique.

Le spectateur visite à proprement dit cette exposition, allant et venant aux racines historiques et géographiques de l'imaginaire à l'œuvre. Un imaginaire désenchanté explique Patrick Corillon : "c'est la force des utopies que d'être désenchantées, car c'est renoncer en douceur à ses idéaux, sinon on arrive à un monde totalitaire." Partant de la Grande Guerre d'abord, page déjà écrite de notre histoire, où une lettre d'amour échangée du front, un papier buvard taché, un récit de bataille tapissent le sol en sapin selon une mise en page travaillée par des lignes de démarcations écarlates.
 
 
Patrick Corillon
 
 
Quand on sait qu'une utopie est étymologiquement un non lieu, un grand nulle part idéal, il se pourrait que le visiteur se trouve là en terre étrange au fur et à mesure de ces installations typographiques et topographiques : une maison immergée sous l'eau d'un barrage qu'il faudra quitter, Charleville-Mézières à travers la figure de Rimbaud et de ses voyelles, des chambres d'hôtels en Hollande qui chacune abritent un personnage extravagant…
 
 
Patrick Corillon
 
 
Détailler une à une les salles de cette manifestation et chacun des récits qui les scandent n'offre pas beaucoup d'intérêt, puisque le sens vient justement de l'expérience de cette pérégrination de Verdun, à Rotterdam chemin faisant et suivant le cours de la Meuse. On sait gré à l'artiste d'avoir su déployer une carte du monde tracé par ses propres songes.

Patrick Corillon réussit ainsi à animer tous ces masques habités seulement par des mots grâce à la magie de ses jeux de scène. Passé maître de son univers mental, peut-être aurait-on pu imaginer qu'il laisse parfois dériver sa folie douce sans balise, la navigation tient autant de la visibilité des astres qui guident que de l'invisibilité des vents.
Raya Baudinet
Paris, mai 2005
 
Patrick Corillon

Les Pensées Poissons, Patrick Corillon au MAC's, musée des Arts Contemporains du Grand Hornu, du 17 avril au 17 juillet 2005
Livre illustré : Les Pensées Poissons, Patrick Corillon, édité par le Musée des Arts Contemporains au Grand Hornu et La Lettre Volée.

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