Frédéric Chopin
La Note bleue
Frédéric Chopin La Note bleue
Frédéric Chopin La Note bleue
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Frédéric Chopin La Note bleue
Frédéric Chopin La Note bleue
 

Frédéric Chopin La Note bleue

Eugène Delacroix, Portrait de Frédéric Chopin, 1838,
huile sur toile, Paris, Musée du Louvre © Roger-Viollet

 
 
 
 
 
À la mémoire de mon oncle, Hervé Couilleaux (1951-2009), mélomane d'esprit et de cœur

Certes, les sons ne s'accrochent pas aux murs ni ne se mettent sous vitrine, toujours est-il que l'essence même de l'œuvre musicale peut être reflétée, ou du moins suggérée par les arts plastiques. Démonstration en est faite avec le très bel hommage rendu à Chopin (1810-1849) pour le bicentenaire de sa naissance, au Musée de la Vie romantique. Dans ces murs mêmes, jadis demeure d'Ary Scheffer, le pianiste de génie se produisit à plusieurs reprises devant un cénacle restreint d'écrivains, peintres et mondains, sans cesse touchés et tout entier acquis à sa cause. C'est cette atmosphère, ténue et émouvante comme l'était le jeu de Chopin au piano, que cherchent à restituer peintures, sculptures ou gravures rassemblées à l'occasion. Des œuvres signées pour la plupart des familiers et des admirateurs du musicien, incarnation par excellence de la sensibilité romantique.

À grands traits, la vie de Chopin ressemble effectivement à un destin passionné : une jeunesse polonaise sous le signe d'un désir d'indépendance face à la Russie, l'exil définitif de la terre natale, les débuts dans le Paris des années 1830, une amitié durable avec Delacroix, les amours ombrageux avec George Sand, et puis le culte du virtuose culminant avec sa mort à 39 ans, au terme d'une carrière courte mais intense_ sa période française couvre environ les années de la Monarchie de Juillet. Ces faits dignes d'un personnage de Balzac occulteraient presque la personnalité de Chopin, homme aussi fragile que magnétique, toujours pudique et sur la réserve, y compris dans l'intimité. À en croire les témoignages, chaque prestation du musicien se ressentait de ce tempérament si sincère, suscitant un engouement sans pareil sous Louis-Philippe. Lorsque Chopin arrive dans la capitale le 5 octobre 1831, la scène musicale française domine l'Europe et réunit les personnalités les plus estimées, souvent des exilés politiques dont le jeune polonais vient alors grossir le lot. Les compositeurs Donizetti, Rossini et Bellini triomphent à la tête du Théâtre Italien, où s'illustrent de grands ténors, leur compatriote transalpin Rubini ou le français Nourrit, mais également des cantatrices d'outremonts. La Pasta ou La Malibran, acclamées pour leur timbre vibrant, restent des vedettes en dehors de la scène et réclament aux peintres les plus en vue des portraits louangeurs, où l'apparence convenue de l'interprète se confond avec le naturel fiévreux de l'individu. Icône fixe mais vibrante, La Pasta immortalisée par Gérard résume à elle seule l'importance accordée à Paris aux Italiens dans le répertoire lyrique. Estimant que la voix peut influer sur le piano, Chopin incitera d'ailleurs ses élèves à fréquenter le Théâtre Italien, afin de s'imprégner des accents pathétiques de l'opéra. Les soutiens affluent vite vers le nouveau prodige, en premier lieu des musiciens reconnaissant le talent d'un leurs pairs. On pense aux compositeurs et pianistes Thalberg et Listz, ce dernier habituellement présenté à la fois comme proche et rival de Chopin.

Ce microcosme se mêle régulièrement à celui des peintres et sculpteurs, mélomanes pour la plupart. De ces rapports cordiaux, témoignent encore les portraits dits « sérieux » en plâtre de Dantan jeune ou une aquarelle de Lami, souvenir d'un concert de Gounod chez la princesse Mathilde. Ainsi s'explique le grand nombre d'effigies de Chopin, du tableau d'Ary Scheffer aux médaillons de bronze ou de plâtre de David d'Angers. Mais la plus belle, la plus inspirée, la plus « vraie », n'est-elle pas celle peinte en 1838 par Delacroix ? Victime des liaisons orageuses avec George Sand, le double portrait d'origine fut divisé, laissant l'amant dans une éternelle solitude. En dépit de cette séparation, la toile conserve une force émouvante, mélange de vénération et de sympathie. Elle est le fruit du grand talent de Delacroix et surtout de son affection indéfectible pour le modèle. Le regard paraît tourné vers le dehors, mais est bel et bien intériorisé, captivant, insaisissable comme peut l'être la musique. Plus que la représentation fidèle des traits, c'est la rencontre rare mais parfaite entre un style pictural et une écriture musicale. Cette harmonie de teintes brunes, où chaque ton trouve sa place, ne traduit-elle pas visuellement l'harmonie fluide des notes de Chopin, où le sentiment s'exprimait pleinement sans jamais s'épancher ?

Très lié à ce cercle d'amis-amateurs, Chopin préféra toujours l'ambiance feutrée des salons privés à la foule des salles publiques. Les hôtes se révèlent pour la plupart des exilés, là encore : italien avec la princesse Belgiojoso, mais aussi une compatriote, la comtesse Potocka, tout comme les princes Czartoryski, organisateurs de concerts en faveur des émigrés polonais dans leur hôtel Lambert. Aristocrates qui attirent le Tout-Paris, certes, mais leurs traits délicats et leurs yeux d'une langueur contemplative, tels que les croquent Ingres, Chassériau ou Delaroche, ne s'accordent-ils pas avec un amour véritable pour le divin œuvre de Chopin ? Toutes les sensations paraissent alors se mêler avec une intensité telle que Baudelaire empruntera à la médecine le terme de synesthésie, trouble des sens. Pour reprendre un autre terme cher au poète, les correspondances, entre expressions artistiques, fascinent déjà les proches du musicien, souhaitant saisir cette émotion invisible émanant du piano. Sand et Delacroix imaginent une formule élégante quant à ce dialogue entre son et image. Cette teinte légère, qui imprègne toute la gamme de Chopin, ils l'appellent note bleue. L'écrivain et le peintre y voient une transcription musicale de la lueur du soir, qui baigne l'air d'une clarté tragique et pourtant magnifique. Voilà pourquoi les paysages argentés de Corot et Rousseau, à certains égards, donnent à voir ce que les Nocturnes de Chopin font entendre. La belle ordonnance du crépuscule de Cuisin, partition de lumière grise, se rapproche peut-être le plus de cette sonorité cristalline toujours prête à disparaître.

Ce crépuscule rappelle aussi une santé défaillante, s'aggravant à l'automne 1849. Place Vendôme, Chopin s'éteint, bien entouré de fidèles venus se recueillir une dernière fois. Tel un martyre de la musique, il eut droit à ses reliques. Alors que le cœur revint à Varsovie, la comtesse de Beaumont-Castries exécute un masque mortuaire, pour garder à jamais le visage d'un nouvel Orphée. Le sculpteur Auguste Clésinger, gendre de George Sand, se brouilla avec cette dernière mais fut défendu en 1847 par Chopin, lequel le paya d'une rupture définitive avec l'écrivain. Clésinger sut gré à son protecteur en moulant post mortem sa main gauche, dont les doigts délicats communiaient avec le piano, empathie peu égalée. Toutefois, le plus beau souvenir de Chopin ne relève guère de ce fétichisme corporel. Sa musique, immortelle puisqu'intemporelle, vole encore avec légèreté et amour vers les cœurs, qui peuvent alors recueillir l'écho d'une âme.
 
Benjamin Couilleaux
Paris, avril 2010
 
 
Frédéric Chopin La Note bleue, du 2 mars au 11 juillet 2010
Musée de la Vie romantique, Hôtel Scheffer-Renan, 16 rue Chaptal, 75009 Paris
www.paris.fr/portail/Culture/…

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