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"Tu seras artiste, mon fils"

Y a-t-il un pays au monde où l'on puisse désirer comme avenir pour ses enfants, le métier d'artiste ? Historiquement le statut d'artiste a été très prisé en Chine. Descendant du calligraphe, issu de la lignée des lettrés, l'artiste y a toujours bénéficié d'une aura particulière, élitiste. Le savoir, la connaissance et la proximité du pouvoir …
Après avoir fait pendant les années Mao, les lourds frais de la Révolution Culturelle, (camps, humiliations et mort), en raison même de son statut privilégié, il rayonne à nouveau.
Aujourd'hui, il représente surtout l'argent, une possibilité de situation financière exceptionnelle, une opportunité de réussite unique, et encore une fois d'une manière étrange, paradoxale et souvent ambiguë, la proximité du pouvoir. L'artiste est certes, à la fois un capteur et un signal de son époque, mais c'est probablement ici en Chine que le statut complexe de ces prophètes, témoins anxieux ou jubilatoires des métamorphoses de la Chine moderne, perturbe le plus notre regard d'occidentaux.

Imprégnés de culture manichéenne, de la notion du bien ou du mal, de cette opposition inhérente à notre pensée judéo-chrétienne, il nous faut faire un réel travail et changer notre regard pour pouvoir tenter de comprendre ce monde différent. Pénétrer l'essence du TAO, élargir notre regard à une perception globale, intégrante, unifiante.
Réunir ce que spontanément nous aurions tendance à séparer pour trouver la cohérence de ce que je nommerai les paradoxes taoïstes

L'opposition apparente entre l'utilisation du pouvoir par l'artiste, inversement, l'utilisation de l'artiste par le pouvoir et de facto la remise en question du même pouvoir par l'artiste. Cette contradiction est pourtant le signe d'un mouvement perpétuel et au bout du compte d'un équilibre dans le déséquilibre. Les artistes sont devenus les nouveaux riches de la Chine… Du côté des autorités, on ne comprend pas grand chose à l'art contemporain, mais on voit l'argent circuler. Cela suffit. Le régime apprécie cet engouement qui le dépasse un peu, organise biennale sur biennale (Shanghai, Chengdu, Canton…), comme autant de preuves de son ouverture d'esprit. "L'art contemporain est devenu la nouvelle vitrine diplomatique." Marie Terrieux (commissaire d'exposition vivant à Pékin)

Ai Wei Wei :

2008. Fils du célèbre dissident Ai Qing, artiste reconnu internationalement, il est officiellement nommé commissaire d'exposition par le gouvernement chinois lors de la construction du Nest (stade Olympique) auprès des architectes suisses Herzog et De Meuron. Il a construit sa notoriété mondiale sur ses provocations politiques (il est en cela proche des artistes comme les Gao Brothers). Aout 2009 : Le même Ai Wei Wei, activiste, manque pourtant de se faire tuer par une milice anonyme, (bien que notoirement gouvernementale) dans la région du Sichuan et son atelier est mis sous surveillance. En visite dans le Sichuan après le tremblement de terre, il y dénonçait la corruption et le détournement avéré de l'argent destiné aux constructions anti sismiques des écoles - qui se sont effondrées en faisant des milliers de morts, alors que les bâtiments d'état restaient intacts. Un mélange des genres peu apprécié par les autorités.
Oct 2010. Londres, Tate modern, Turbine Hall : Choix radical pour l'artiste, cette fois ci l'art au service des oubliés. Proche du peuple et des mémoires, il "installe" un parterre de céramiques sur toute la surface du Turbine Hall, graines de tournesol, (sunflower seeds), cent millions de graines réalisées pendant des mois une à une, à la main, par les habitants d'un village perdu de la Chine, ayant conservé la mémoire et le savoir-faire unique de la céramique traditionnelle et réhabilité le temps d'une expo contemporaine Londonienne.

Les Gao Brothers (Gao Zhen et Gao Qiang) ont ensemble, ridiculisé Mao pendant 20 ans, le transformant en femme aux seins lourds de lait, (Mao, mère du Peuple), dénoncé les cruautés aveugles urbaines, l'aliénation des humains, l'utopie du progrès, les tabous comme l'homosexualité ou la nudité, tout cela en apparente liberté. Brillamment représentés en Occident, ils rayonnent et représentent une vitrine de la Chine contemporaine. Mais pourtant, ils doivent encore avancer masqués. Lors de certaines installations qu'ils mettent en place, ils séparent le corps de Mao de sa tête, communiquent par codes les lieux de performances où ces deux éléments seront réunis, accentuant la tension dramatique et l'enjeu de cette même performance. Jeux du chat et de la souris.

La liberté des artistes chinois est à la fois très grande et sous contrôle, libres dans leur atelier, leurs manifestations publiques sur leur territoire peuvent encore être à tout moment interrompues, parfois même par de simples bras zélés non officiels du pouvoir, appliquant une norme qui n'est jamais clairement définie, mais reste à l'aune de leur vision des limites et de l'outrage aux autorités.


L'opposition dans leurs œuvres entre l'expression des mémoires collectives et individuelles :

"En tant que Chinois, on est toujours part intégrante de l'Histoire" Cai Guoqiang
"Dans la société chinoise, l'individu ne compte pas, c'est l'unité de travail qui décide de son sort"
Liu Bolin.

Les Gao Brothers, dont le père, poète connu, fut exilé par la révolution culturelle et n'en est jamais revenu, ont vécu leur enfance sans père, et n'ont même jamais su comment il était mort. Pendant 20 ans, tout leur travail (performances, peintures, photo) a été une attaque sans répit de Mao, et du pouvoir absolu qu'il incarnait. Au bout de 20 ans, ils finissent ce long cycle de créations par un Mao repentant, agenouillé et demandant pardon. Leur est posée la question suivante : Cette représentation symbolique du pardon de Mao, (comme en Occident avec les procès des criminels de guerre tel Milosevic) vous a-t-elle apporté une paix intérieure par rapport à la disparition de votre père ? Leur réponse est très claire, "quelle paix, notre père ?? mais il ne s'agit pas de nous, il s'agit de la mémoire collective de tout un peuple" La psychanalyse, la résilience, le pardon sont des concepts apparemment très occidentaux.

Très peu d'artistes Chinois travaillent sur une mémoire personnelle, c'est le champ politique global qui en occupe la scène majoritairement. L'espace individuel, le regard intérieur est délaissé aux quelques rares pratiquants de cette mémoire des calligraphes qui jouent encore avec les encres et les lavis. Reliés à leur centre ils sont pourtant reliés au Tout.

L'opposition apparente entre le rejet de l'art occidental et un système de calque :
Le système d'études artistiques Chinois est encore basé sur un enseignement tel qu'il était prodigué en France au début du siècle dernier. Académique, classique, avec beaucoup de dessin, (il faut leur reconnaître une maîtrise technique exceptionnelle) mais en même temps, dès qu'ils émergent, les artistes changent de mode opératoire, installent des "factories" qu'ils délocalisent parfois, dans la ligée de Warhol, Jeff Koons …, et il n'est pas rare qu'ils aient jusqu'à 200 assistants. (de Zhang Huan, dont nous avons pu découvrir les "tigres retournent à la montagne" et les "gigantesques visages de Bouddhas en peau de vache" à la Pace Gallery de Pékin).
Rares sont ceux qui utilisent les techniques traditionnelles chinoises et ceux qui ont atteint une cote mondiale sont les plus représentatifs de cet éloignement de ces bases traditionnelles.


Chinablues…

Comment trouver dans tout cela des repères justes avec nos yeux d'occidentaux entravés par des visions contradictoires, qui oscillent entre fascination et méfiance face à cette Chine Nouvelle ? Pratiquante assidue d'arts martiaux et de Tai Chi, il me semble percevoir dans le comportement des artistes Chinois l'essence même de ce qui nous échappe, cette force immuable qui, sans cesse en mouvement, n'interdit rien et renouvelle tout.

Cependant, la sélection des artistes officiels et reconnus mondialement, en dépit de leur réel foisonnement, est à mes yeux une caricature de notre art occidental et oublie les artistes plus classiques, dont l'humilité du travail, fille des anciens, est une invitation à l'intériorité.

Je regrette de ne pas avoir plus souvent l'occasion de retrouver les "10.000 êtres de l'Homme" et cette poésie particulière des encres et des lavis propres à des artistes d'une culture plurimillénaire. Un art de paix intérieure profonde, intemporel, donc au-delà des modes et des spéculations, un art pour l'Art, pour la Beauté pure et le silence intérieur. Dans une époque qui se lasse des valeurs marchandes, des $, euro et autres monnaies et doute d'elle-même, j'avoue aspirer à un art de l'intériorité, remarquablement illustré par une française enfin reconnue, Fabienne Verdier.
Invitation à découvrir : Lu Yanpeng et ses montagnes d'air, Lee Ji Hyun et ses fragiles cahiers d'écriture, Cindy Ng et ses encres mouvantes, Wu Wei, et ses principes de l'être et du néant ("principles of being and nothing…")
 
Edith Herlemont-Lassiat
Beijing, mars 2011
 
 
acasculpture.blogspot.com
www.tate.org.uk/modern/exhibitions/unileverseries

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