Les démons du hasard
Cathy Bion, couleurs d'alizés

GEO-graphics

couverture de "couleurs d'alizés"

 
Est-ce la sensibilité du peintre qui alimente la vivacité du photographe ou est-ce la voracité du photographe qui étanche la gourmandise du peintre? La question se pose à propos des compositions hautes en couleurs, échevelées, baroques, que Cathy Bion rapporte de ses voyages dans les villes portuaires d'Europe et d'Australie.

Rien de conventionnel, rien de pittoresque dans la démarche de la voyageuse photographe. Du Portugal elle ne ramène pas des barques de pêcheurs ancrées dans des criques photogéniques sur fond d'océan; de l'Australie elle ne montre pas le gigantisme portuaire d'acier de de béton d'un pays aseptisé pour accueillir les touristes des Jeux Olympiques.

Non, ce qui attire son œil, ce sont les blessures, les scarifications, les cicatrices, les repeints sauvages qui attestent le passage du temps sur les lieux habités. Elle donne une intensité dramatique à des événements minuscules qui passeraient inaperçus s'il n'y avait son regard prospecteur.

De même que certains photographes veulent saisir l'intimité des hommes dans leurs gestes les plus simples, leur vérité dans la banalité du quotidien, Cathy Bion parcourt les lieux où les hommes vivent et travaillent, en révélant les traces et stigmates de leur activité. Elle exalte la beauté d'un fragment de peinture qui s'écaille, l'entrecroisement de stries de couleurs sur le mur d'un atelier. Elle se promène sur le front de cette guerre infiniment lente que les forces de corrosion livrent à l'économie humaine.

Patience, un peu de patience: les plus beaux vernis se rayent et se ternissent, les surfaces peintes sont rongées de l'extérieur par les intempéries et minées de l'intérieur par des forces insidieuses. Lichens, mousses et moisissures envahissent subrepticement mais sûrement les moindres creux et dentelures des édifices les plus solides.

De cette sourde activité Cathy Bion est le temoin. Elle surprend sur le fait les "démons du hasard" (Appollinaire) qui malmènent toutes nos entreprises. Et elle trouve dans leur activité d'étranges splendeurs. Elle fixe sur pellicule des instants d'une vie larvée qui coexiste avec celle des hommes, mais leur échappe par sa lenteur et sa petitesse.

Que l'on prenne garde aux miettes photographiques de l'artiste : leur beauté est explosive!
 
Michel Ellenberger
Paris, novembre 2010
 
 
Cathy Bion, photographies, couleurs d'alizés
Critère Edition, Grenoble - editions.criteres.org
ISBN 978-2-917829-35-6

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