Clandestins de Blaise Patrix
Visite d'atelier
Europe, Blaise Patrix
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La série "Clandestins" du peintre Blaise Patrix interpelle l'attention de visiteurs curieux et multiples : curieux car il suggère une participation active dans la mise en espace des toiles, à la découverte d'une profondeur qui varie selon le positionnement de chaque tableau ; multiples car il stimule une analyse jouissive des profondeurs formelles, chromatiques et thématiques de chaque œuvre. Un premier groupe éparpillé de "visiteurs", présences indéfinies et inquiétantes dans leur élan désespéré (les "visiteurs émigrants"), occupe le cœur des tableaux, englobé dans une mer sombre et tumultueuse qui ne laisse pas de replis.
Un deuxième groupe (celui des "visiteurs transversales") s'incruste sur la matière peinte tel un regard en miroir, "médiatisé et fluorescent", qui creuse des fissures ordonnées sur les tableaux et qui mesure notre vivacité d'introspection en tant que "visiteurs observateurs". Le troisième groupe c'est nous, les "visiteurs observateurs" justement, les "visiteurs cultivés et avertis" : témoins d'un drame qui se déroule sous nos propres yeux, spectateurs inertes et "tiers" d'un tableau miroité, à l'envers.

Cette première mise en perspective, en miroir et en ricochet, des groupes des visiteurs nous renvoie à la curiosité et à l'urgence. La première "curiosité" est celle des migrants, premiers protagonistes de "Clandestins" : placés au cœur des tableaux et du drame, ils sont poussés par une urgence de survie qui éclate face à l'inévitable désespoir de leur propre élan, de leur propre désir de liberté, tout comme ces frêles pirogues qui se catapultent contre leur première inévitable accompagnatrice et barrière assassine, malgré soi : l'eau.
C'est l'eau de la mer, la vague d'un bassin en tempête : agitée, furieuse, démoniaque. Et noire : noire comme la profondeur de la terre ; noire comme le chien enragé dans une nuit la plus sombre ; noire comme la rage des Dieux qui jaillit contre ceux qui osent encore les défier, malgré les avertissements. Enfin : noire comme leur propre peau.

Puis il y a la "curiosité" des regards incrustés à la matière du tableau. Ils sont incisés comme si la matière peinte devait laisser place à des "regards emprisonnés à l'intérieur de leur propre format" : reproduction, régularisation, formalisation ; en symétrie, en fluorescence, en parallélisme. Un nouveau "regard multiple" qui envahit le rythme du drame au cœur du tableau pour en imposer un autre, presque médiatique ou médiatisé, sans nécessité de jugement mais dans un jeu en ricochet d'un regard "reporté", "translaté". L'honnêteté de ces regards d'hommes, de femmes, d'enfants - blancs, noirs - insoucieux, inquiets - inquiétants ou simplement regards - surgit sans aucune doute du tableau mais elle n'arrive jamais à se relever dans toute sa vérité, dans toute son amplitude : les regards sont soumis à la lois de la forme (un petit rectangle de 20 cm sur 8) et à la loi du formatage (parallélisme et "mise en page"). La justesse de ces regards frotte contre le drame interne du tableau dont ces regards mêmes semblent être témoins. Mais ces regards semblent avoir été interpellés par l'auteur à une prise de parole "sans parole et sans voix", à un jeu de témoignage "transversal et lointain", à un jeu de rôle de "priorité miroité", "nécessaire mais collatérale" pour que le tableau puisse exercer la profondeur nécessaire et aiguiser ainsi notre propre regard. Car, à la fin, c'est notre "curiosité" qui sera interpellée.
Interpellée avant tout par la Nouvelle : un terrible voyage en pirogue, néfaste et annoncé. Puis, interpellés pas la Barrière Naturelle : l'éblouissante blancheur des vagues fluorescentes d'une mer noire, agitée, enragée. Et, encore, interpellés par la violence du regard que nous, "spectateurs multiples et avertis", on a posé trop souvent sur ces Images EuroNews : transférés, évoquées, médiatisées. Ou interpellés pas la vacuité des nos propres regards, filtrés pas la Barrière Culturelle, celle de l'Occident "riche et cultivé" contre ce Sud "pauvre et désespéré" que la plupart encore se réjouit de "garder à l'écart" grâce à une barrière que l'on croit encore "naturelle" : la mer. Et, enfin, interpellés par l'incongruité apparente de ces regards incrustés, telle une exhortation au jugement, ou une accusation au silence ; ou, peut-être, un pamphlet, un épigramme énoncé : épique, en miroir, en ricochet.

La profondeur des tableaux s'impose comme un vertige : sensible, instable, vulnérable, en migration. Des tableaux qui permutent leur empreinte si l'on est appelés à les regarder pendant la journée ou pendant la nuit, à l'endroit ou à l'envers…
C'est cette série vertigineuse de plans de vision et de lecture qui nous oblige (nous, visiteurs curieux et multiples) à nous confronter aux profondeurs de notre propre incapacité à "comprendre" : car on ne pourra peut-être jamais "comprendre" la profondeur du drame des visiteurs migrants ; tout comme on ne pourra peut-être jamais "comprendre" la profondeur de notre "implication", noyée par les appréhensions et les inquiétudes que notre propre distance du drame "impose".

"Clandestins" semble ainsi nous plonger dans une hyper réalité de la vision, curieuse et multiple ; une réalité qui nous impose des urgences et des questions : ne serions-nous pas tous des e-migrants ?
 
Mauro Pacagnella
Bruxelles, septembre 2013
 
 

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