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Cédric Cottaz

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"L'entre-deux"

Merleau-Ponty dans la phénoménologie de la perception considère que "toute perception est une communication ou une communion, un accouplement de notre corps avec les choses". L'individu n'entretient pas une relation de causalité avec le monde mais il est, de fait, avec le monde. Il est dans l'espace. Il est le prolongement du monde par l'entremise de son corps.

L'acte de photographier c'est en quelque sorte suspendre les sens et le regard de manière à retrouver cette expérience primaire et première qu'est l'expérience corporelle de l'espace. J'envisage la photographie comme une rupture de notre relation familière au monde. Elle met en évidence ce que le quotidien nous empêche de voir, ce qui va de soi et qui semble à l'égard de nos sens complètement anodin.

Mes photographies représentent des bâtiments, des appartements, des bureaux abandonnés ou en attente de travaux : J'ai photographié ces espaces lorsqu'ils se situaient dans un entre-deux : Entre leur aménagement passé et leur aménagement à venir. Ce sont donc des espaces en devenir, en mouvement, destinés à être réagencés. Cette évolution, cette transformation spatiale m'intéressent en tant qu'elles créent une tension par laquelle le spectateur est invité à réfléchir sur sa relation avec l'architecture et le bâti comme environnement quotidien. Ce sont des espaces qui vont de soi et qui pourtant définissent notre rapport au monde.

Il y a dans mon travail un certain goût pour la solitude et le vide. Mes photographies sont des images "neutres" de sites sans qualité ou caractère particulier.

J'exclue volontairement toute figure humaine de ces images de manière à sortir la relation structurelle entre l'être humain et son environnement à l'extérieur du cadre de la photographie. Le rapport s'établit alors directement entre l'image et le regardant. Chaque photographie prend une dimension sculpturale. C'est une sculpture à deux dimensions dans le sens où elle positionne physiquement le spectateur. On prend place devant l'image. C'est une mise en situation, un placement. La photo agit alors comme une balise. Elle balise notre regard et notre corps tout entier. Elle nous place là, ici et maintenant devant et dans un espace.

De ce point de vue, la photographie, nous confronte directement avec le visible. En photographiant je fais acte de perception. C'est une interrogation du voyant sur son voir et donc sur son enracinement perceptif dans le monde, l'espace, le toujours "déjà là", le "il y a" primitif.

Mon dernier travail s'appuie sur la construction d'un lotissement de 80 maisons individuelles dans la Plaine du Forez. Depuis ces dix dernières années les espaces ruraux connaissent pour une majorité d'entre eux une dynamique démographique positive et passent sous influence urbaine. Avec la volonté d'accéder à la propriété et de profiter d'un cadre de vie meilleur les citadins quittent la ville pour s'installer dans les campagnes dans de nouveaux espaces résidentiels construits à partir de maisons standardisées et modélisées. La logique de péri-urbanisation s'accentue entraînant avec elle une modification des usages et des perceptions. Une nouvelle activité résidentielle apparaît, dans un nouvel espace et une architecture particulière. Je me suis donc attaché à révéler ces ensembles pavillonnaires dans leur état d'émergence. J'aborde par ces images la question de la structuration de l'espace et par extension la délimitation entre les différents espaces qu'ils soient publics, privés, sociaux ou politiques.

L'entre-deux c'est l'émergence de nouveaux lieux.
Comment se représente-t-on ces nouveaux espaces?
Comment l'être humain en tant qu'être vivant et social réalise son propre espace et par là même comment cet espace à son tour le réalise?

Dans la mythologie romaine, Romulus a fondé la ville de Rome par le simple fait de tracer un sillon. Ce geste symbolique permet de découper, de séparer, de marquer dans la terre la séparation entre l'extérieur et l'intérieur et donc d'établir les limites de la cité. Ce geste fondateur est à l'origine de la constitution de la société civile et politique. La trace, sépare et crée une organisation, c'est le premier acte d'une structure spatiale, d'une archi-tecture.

Je conçois un peu l'acte de photographier comme un balisage de l'espace : C'est une séparation, une attribution d'identité, une constitution, un marquage, une rayure qui détermine et dé-limite. La photographie c'est une topographie, une image qui marque l'invention d'un lieu ou d'un paysage.

Cédric Cottaz, avril 2004
en partenariat avec
Photos Nouvelles
Cédric Cottaz participant de Captures :
 Du SIRP à Captures, la recherche photographique fondamentale
 
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